À la recherche d'une forme Tag Archive
Les Mouettes
2014 : première inscription en club de natation amateur aux Mouettes de Paris, dans le 19ème. Des forcenés ; les entraîneurs comme les entraînés. Les premiers, quasi des sergents instructeurs avec des biscotos larges comme ma cuisse (le plus musclé d’entre eux était aussi le plus idiot, comme quoi ces deux grandeurs-là ont finalement peut-être entre elles quelque proportionnalité). Sévissant un temps à Pailleron, bassin de trente-trois mètres pour faire durer le plaisir (on n’en voit pas le bout), puis à Georges Hermant, cinquante mètres, heureusement divisé en deux (sauf pendant les semaines de vacances scolaires, que je redoutais pour cette raison ; et quel plaisir pourtant, quelle glissade, comprendrais-je aussi bientôt, d’aligner cinquante mètres d’une traite, quand on a la cadence).
Continue ReadingPapillon
La nage papillon, telle que la pratique l’amateur, ressemble plutôt à s’y méprendre à celle du crapaud cul-de-jatte qu’empoisserait une flaque de pétrole.
Du papillon, on ne reconnaît à la rigueur que l’enfance larvaire et sa laborieuse reptation, quand il était encore chenille.
Continue ReadingLes écrivains pourraient s’introduire en bourse
Les écrivains pourraient s’introduire en bourse, moyennant une levée de fonds ; enfin cotés, ils se tireraient la bourre comme des Sociétés Anonymes. Autant d’actions mises en circulation que d’exemplaires imprimés des œuvres, à répartir entre pléthore d’actionnaires, du petit porteur, simple amateur de boursicotage, jusqu’au trader à haute fréquence (à condition d’écouler tous les titres émis, sans quoi gare à ce que le cours ne chute). On acquerrait non seulement ses exemplaires, mais un droit de propriété sur une parcelle du capital littéraire, à faire fructifier à long terme (peut-être pourrait-on même se rendre maître d’un orteil, d’un mollet ou d’une touffe de poils de l’auteur).
Continue ReadingDepuis un recoin de la littérature…
À propos du Sanatorium au croque-mort de Bruno Schulz, traduction de Thérèse Douchy, Allan Kosko, Georges Sidre et Suzanne Arlet, dans la collection L’imaginaire de Gallimard
Difficile de résumer d’un mot le style de ces nouvelles de Bruno Schulz réunies sous le titre de la plus kafkaïenne d’entre elles, qui fait aussi penser au troublant roman du méconnu Hermann Kasack, La ville au-delà du fleuve, tant porteur de promesses d’ailleurs, celui-là, que sa fin laisse un peu le lecteur (en tout cas moi) sur sa faim, justement— à cause même peut-être de son twist, efficace mais banalisé depuis par Hollywood, presque convenu aux yeux des post-modernes épuisés que nous sommes (tel personnage qu’on croyait vivant (bien que très bizarrement vivant) depuis le début s’avère en fait mort, hantant une sorte de réalité parallèle).
Continue ReadingOut of office
La tendance en matière de réponse automatique aux e-mails professionnels quand on part en vacances, c’est de ne surtout pas avouer dans le texte, même sous la torture, qu’on est justement « en congés », mot coupable à proscrire car laissant entendre, horresco referens, qu’on espère bien se la couler douce, aussi peu doux que soit par ailleurs dans les faits le fleuve intranquille, sans repos, et pour tout dire franchement tumultueux — il nous coule plus qu’on ne s’y coule — des vacances scolaires en famille ; non, le folklore corporate a préféré forger pour cette occasion particulière une formule absolument neutre, inattaquable, une convention minimaliste coupant court à toute interprétation, du moins théoriquement car en pratique personne n’est dupe, on préférera en tout cas écrire qu’on est « absent du bureau », « out of office » pour les plus internationaux et « OOO » pour l’élite des initiés, ce qui n’est pas, à l’ère de l’essor du télétravail, sans susciter d’ambigüités collatérales, puisque les jours où l’on télé-travaille, on n’est pas non plus présent physiquement au bureau, mais on ne se sent pas pour autant tenu de le signaler noir sur blanc dans toutes les communications dont on arrose collaborateurs et clients, du style « Bonjour, je vous écris présentement depuis le salon de mon appartement, veuillez trouver ci-joint un draft du kick-off pour l’on-boarding, belle journée », on se garde même bien de le préciser, qu’on est planqué chez soi en survêt’ plutôt qu’en première ligne au bureau, et dans ce sens finalement c’est cohérent, car de même que les gens n’ont pas à savoir qu’on est en vacances quand il leur suffit de savoir qu’on est absent du bureau, ils n’ont pas non plus à savoir qu’on est en survêt’ chez soi quand il leur suffit de savoir, par défaut, qu’on n’est pas absent du bureau, la présence au bureau figurant simplement là, par synecdoque interposée, les heures ouvrables, et non pas la présence palpable et irréfragable du corps du salarié — fût-il ailleurs en esprit, c’est un autre sujet — au sein des locaux de l’entreprise qui l’emploie.
Continue ReadingDu diktat inerte des choses
Ce bric-à-brac qu’on amasse, comme il pèse lourd et nous cloue au sol, nous enlise en lui jusqu’au cou comme des sables mouvants. Diktat inerte — passif-agressif diraient les psychologues — des objets qui, jamais à leur place, toujours en travers, nous narguent et même assaillent nos pieds par la plante.
Continue ReadingCritique de la vie quotidienne, et des télésièges
Curieux livre d’Henri Lefebvre, dont je m’étais promis de lire quelque chose depuis longtemps. Quand, comme j’ai l’habitude de le faire pour presque chacune de mes lectures, j’ai posté sa couv’ sur mon fil Twitter, 14 personnes l’ont « likée » et 4 l’ont « retweetée », dont deux qui ont ajouté un commentaire, du type poing levé et couteau entre les dents (bizarrement, pour une raison que j’ignore, je n’arrive plus à afficher lesdits commentaires, à l’heure où j’entame cette note. Leurs auteurs se seraient-ils rétractés depuis ?), statistiques qui disent un peu, à la modeste échelle de mon audience et toutes pincettes prises quant à leur très réduite représentativité, l’estime où est tenue cet auteur parmi un certain public (lequel, de public ? Sans doute un public un minimum averti en matière de marxisme, dont Lefebvre fut un éminent spécialiste).
Continue ReadingDu souvenir comme apprentissage
Comment appréhender le phénomène du souvenir sans l’envisager comme résultant d’une empreinte laissée dans l’esprit, d’une trace profondément, quasi matériellement, inscrite dans l’âme ? Voyons d’abord le souvenir comme la remémoration d’une expérience. Lorsqu’elle a lieu, cette expérience apporte du neuf au répertoire de notre vécu, c’est-à-dire, si l’on tente de s’affranchir du registre de l’impression, que l’expérience nous fait ajouter de nouvelles ressources au périmètre des choses que nous pouvons exprimer, soit aux jeux de langage dont nous maîtrisons la logique.
Continue ReadingAlbum auguste
Une roulotte immobile au départ d’une halte
De pluie criblé l’abri crépite
Au voisinage du tonnerre
Torrents enrobent une coquille
C’est l’antichambre d’un pays