Ma première image du Maroc, c’est-à-dire plutôt la première image de mon séjour au Maroc, n’est pas une image du Maroc proprement dit mais une image d’avant le Maroc, l’image de ma voisine d’avion, une mère apparemment célibataire emmenant sa fille adolescente en vacances à Agadir (ville atroce, du moins pour ce que j’en verrai plus tard par la vitre de mon taxi-tacot me menant à vitesse très modérée, surtout dans les montées, vers le village côtier de Taghazout, ma destination), feuilletant distraitement sur sa tablette électronique toutes sortes de journaux et magazines, Paris Match, le Parisien et d’autres, non pas au sein d’un navigateur mais s’affichant à l’écran sous leur format de journaux et magazines, comme si elle disposait d’une sorte d’abonnement universel en ligne à toutes sortes de journaux et magazines — ce que voyant je me demande comment on peut encore lire, fût-ce distraitement, des magazines — ; ou, avant le décollage, textotant fébrilement sur son mobile — ce que voyant j’aperçois cette phrase qu’elle adresse à son interlocuteur : « Nathalie s’est fait refaire le nez » — ; ou commentant plus tard avec sa fille l’offre cosmétique duty free à bord, certains produits semblant les intéresser toutes deux au plus haut point — et ces produits qui les intéressent, sont-ce les parfums Shakira et Banderas qu’annonce fièrement un steward au haut-parleur, à n’en pas douter des pièces de choix ? — ; ou, plus tard encore, à la fin du vol en fait, durant la descente, tançant vertement sa fille pour quelque phrase insolente que celle-ci aurait prononcée, du moins c’est ce que je déduis de ce que j’entends de l’altercation mère-fille, n’ayant pas ouï ce qui a mis le feu aux poudres en premier lieu, la mère allant déjà jusqu’à menacer sa fille, avant même d’avoir atterri, de la renvoyer manu militari (ce sont mes mots) à Paris. Décidément, les vacances commencent bien pour elles, me dis-je, plaignant surtout la fille, moi qui n’ai pu m’empêcher de penser à propos de la mère, me fondant non seulement sur ce qu’elle m’a laissé entendre et voir, mais aussi plus généralement sur ce que dégage son style, et là pardonnez-moi ma grossièreté et mon peu de charité, moi qui n’ai pu m’empêcher de penser : « à tous les coups encore une connasse de la com’, ou de la pub’, ou de la mode ».
Mais avant même cette image de cette mère, il y a cette image de moi-même, me rappelant pourquoi, franchissant l’un après l’autre les checkpoints carcéraux de l’aéroport, pourquoi je ne prends plus l’avion (la dernière fois remonte à 2018), tant je subis comme un supplice ce parquage mobile d’enclos en enclos, au point que je fais même, moi qui suis peu coutumier de ce genre de chose, une remarque sèche et désagréable, parfaitement inutile, à l’employé de la compagnie après qu’il nous a fait attendre quinze minutes dans le bus stationnant au pied de l’avion sur le tarmac, bus bondé toutes portes closes en plein soleil, où ça chauffe donc fort malgré la saison.
Autre image du Maroc avant le Maroc : Dominique Farrugia dans son fauteuil roulant, amené dans l’avion puis transvasé dans son siège à la force des bras par le personnel de la compagnie, Dominique Farrugia n’ayant manifestement plus l’usage de ses jambes du fait de sa maladie, Dominique Farrugia dont j’ai justement vu par hasard quelques minutes avant l’embarquement sur mon fil Twitter qu’il s’est offusqué de la manière dont le personnel de la compagnie l’a traité lors de son enregistrement au Terminal 3 d’Orly (incident qui sera rapporté plus tard par la presse en ligne, comme me le montreront plus tard, le soir de mon arrivée à Taghazout, les amis que j’y aurai rejoints et qui seront tombés sur l’article) — ce que lisant j’ai pensé : mais c’est mon terminal à moi ! —, Dominique Farrugia assis côté couloir juste devant moi, qui suis assis côté couloir également mais en face, un rang derrière, si bien que je peux apercevoir en direct — on va croire que j’épie l’écran des gens, mais il faut savoir que sur celui de Dominique Farrugia le corps typographique est si épais qu’on lit presque malgré soi les phrases qu’il y écrit si on s’y trouve exposé à un mètre de distance — le nouveau tweet qu’il est en train de rédiger avant le décollage, cette fois pour dire en substance que le personnel de la compagnie a bien rattrapé l’indélicatesse initiale dont il a été victime, concluant en substance que l’incident est clos.
À suivre…
Last modified: 11 novembre 2024