2024 Tag Archive

En attendant l’après-ski

Ça commence par des embouteillages. À moins qu’on ait eu la prévoyance et le privilège de tirer au sort un ticket de train, tous liquidés dès trente minutes après leur mise en vente, si bien qu’on a dû se résigner à la bagnole, qui nous épargnait au moins, s’il faut absolument voir le verre à moitié plein, le transfert à pied, entre escales, d’un barda d’enfer, ballotés d’abord par les reflux imprévisibles de la gare, anxieusement tendus ensuite vers le repérage des places, dans le wagon qui d’entrée sature, jonché d’équipements massifs : les énormes valises pleines à craquer de masques, casques, gants, pulls et bonnets, et même les skis et les chaussures pour les plus acharnés ; autant dire des grandes lattes et des enclumes qu’on ne sait par où agripper pour les soulever. On mesure déjà le niveau de fétichisme du skieur propriétaire, non pas de son chalet cossu au pied des pistes, mais, à défaut, de cet attirail si malcommode à transporter qu’il trimballe comme sur le Calvaire d’un bout à l’autre de la France, et avec le sourire encore (au moins Jésus n’avait-il pas, en sus de la croix, à se traîner une de ces horribles paires de groles !).

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À la recherche d'une formeCaractères

8 mars 2024

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Le gène du jeu

Nouveaux fragments 12

Je me demande si les évolutionnistes, qui pour les plus acharnés d’entre eux s’adonnent à la fâcheuse tendance de tout expliquer par l’évolution, jusqu’au pli de votre pantalon — mais c’est un monisme comme un autre après tout, pas plus idiot que celui des sociologues qui expliquent tout quant à eux par le social, et dont d’ailleurs les évolutionnistes sont un peu les bêtes noires, œil pour œil, dent pour dent, capital génétique pour capital social — je me demande s’ils ont aussi réponse à la question du jeu chez les enfants (chez les primates ? chez les mammifères en général ? je n’ai pas l’impression par exemple que les jeunes poissons jouent ni les amibes ou les bactéries, quid des oiseaux ?). Je veux dire : la disposition innée des enfants au jeu, le fait que dès l’âge le plus tendre ils ne pensent qu’à jouer sans même savoir qu’ils jouent — et c’est là peut-être le trait le plus poétique de l’espèce, peut-être même la source de tout poème, hélas ça se gâte très vite ensuite, et le jeu devient plus tard pour l’adulte une opportunité commerciale, une gamme infinie d’articles à écouler par centaines de milliers pour Noël qu’on aura inventé par la même occasion — cette disposition doit bien constituer, par quelque voie aussi détournée fût-elle, un avantage sélectif favorisant un jour ou l’autre, une fois terminée l’enfance, la reproduction ; sinon, dirait l’évolutionniste, on ne jouerait pas. Ou peu d’enfants joueraient, le jeu ne disparaîtrait pas forcément pour autant, mais ne se serait pas imposé non plus comme un penchant aussi universel (imaginons des enfants naissant très sérieux, n’empilant pas des cubes, mais… faisant quoi à la place ? Entre leurs mains tout est tant jeu, imbriquer, tordre, mordre, casser, rouler, lancer, arranger — même ranger ! — qu’un opposé est difficile à concevoir ; ou est-ce notre définition même du concept qui est justement destinée à circonvenir la foule hétéroclite des comportements associés ?). C’est bien sûr une question toute rhétorique que je me pose là, sans quoi je serais allé chercher la réponse, puisqu’on a toutes les réponses de nos jours. J’ai cru voir après une rapide recherche, mais sans aller plus loin, que les cognitivistes — encore de fameux monistes, à tous les coups — interprétaient le jeu comme un exercice d’imitation des adultes, auquel recourraient les enfants avec les moyens du bord pour développer progressivement, par mimétisme, les mêmes facultés qu’eux. Suivant cette idée, les gènes du jeu, quels qu’ils soient, toujours soucieux comme on sait de se perpétuer, favoriseraient l’apprentissage de la vie, c’est-à-dire de la survie, et conséquemment l’atteinte en bonne santé de l’âge fertile. Mais cela n’expliquerait pas pour autant la forme, éminemment poétique disais-je, d’inconditionnelle gratuité, d’entier dévouement à la joie, que le jeu revêt, à moins que le plaisir ainsi procuré, constituant un attrait puissant, soit dès le départ une stratégie du gène pour inciter l’enfant à jouer, et donc à apprendre à survivre. Toujours est-il qu’après la puberté, une fois remplie la mission du jeu, on ne joue plus, ou si peu, ou si mal. Ou serait-ce que les adultes continuent à jouer, sans le savoir eux non plus, mais avec ce consternant sérieux qui les caractérise ? Ça donnerait alors la piteuse comédie du monde social. Serait-ce que, n’étant plus une question de vie ou de mort pour le gène, le jeu devient triste ?

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À la recherche d'une forme

26 février 2024

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La pyramide des âges est une pyramide de Ponzi

Nouveaux fragments 11

Ça saute aux yeux : nos sociétés sont trop grosses, trop denses, trop inégales, trop fourre-tout, trop frénétiques, asphyxiées, robotisées, et ainsi de suite. Et dire qu’avec ça, nous sommes encore obsédés de croître. L’humanité comme cavalerie ; la pyramide des âges est une pyramide de Ponzi. Rien qu’à penser, à l’échelle d’un jour, d’une heure ou même d’une minute, aux téragrammes (1012) de déchets indégradables amassés, au téraoctets de bits courant le long des câbles, aux millions de biens manufacturés sortant des chaînes, au volume total de besoins individuels à satisfaire, aux humeurs s’écoulant des corps en conséquence, c’est le vertige ; à côté, les étoiles en fusion par milliards de milliards dans le cosmos, c’est de la gnognotte. Le monde est un foutoir qui nous a échappé depuis longtemps, une spirale infernale, après chacun de nous le déluge ; qui s’y retrouve encore, dans cette hyperréalité bardée de prothèses et d’artifices ? Pour un peu, on se prendrait parfois à rêver de pouvoir ranger le monde, mettre un peu d’ordre à notre bordel, passer un coup de balai dans les coins. Nous avons poussé l’atomisme trop loin, et chaque atome, soumis à la pression trop forte de tous les événements du monde, de tous les sensationnalismes, de tous les savoirs concurrents, est au bord de la fission. Il n’y aurait pas besoin de tirer beaucoup plus sur la corde pour qu’irrémédiablement ça craque ; les crétins et les tarés, les porcs et les salauds courent déjà les rues. Les misérables aussi. Statistiquement, à son petit niveau particulaire, l’individu peut toujours miser sur la chance pour s’en tirer à bon compte, en rasant les murs, en surveillant ses arrières, mais jusqu’à quand ? Est-elle si faible, la probabilité, pour tout un chacun, de se retrouver demain aux prises avec l’arbitraire de la démence, celle d’autrui ou la sienne propre ? Nous ne sommes plus que ça, d’ailleurs : des probabilités.

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À la recherche d'une forme

5 février 2024

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Addictions

Nouveaux fragments 10

Addictions : pour arrêter le whisky j’allume une clope ; pour arrêter de fumer je me gave de sucreries ; pour arrêter le sucre je me noie dans le café ; pour arrêter la caféine je mange gras ; et ainsi de suite, en passant par la drogue, le jeu et les putes, jusqu’à revenir à mon point de départ, ouvrir une bouteille de whisky et repartir pour un tour.

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À la recherche d'une forme

11 janvier 2024

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À trop large échelle

Nouveaux fragments 9

Hasard de la sérendipité, juste avant La Pensée écologique, j’avais lu Une question de taille d’Olivier Rey, en tous points l’opposé du précédent, aussi sobre que l’autre est snob, aussi explicite que l’autre est elliptique, et si le livre de Morton, quoique prétendant mortifier les « bien-pensants », se réclame mine de rien du progressisme, c’est-à-dire du bon camp, on pourrait sans trop de risque qualifier de conservateur le livre d’Olivier Rey, au point qu’un historien de gauche en vue sur Twitter, tout en affirmant que ce livre l’avait profondément marqué, reconnaissait dans le même mouvement avoir depuis renié son auteur, et se garder de le citer, du fait de ses prises de position supposément réactionnaires, Olivier Rey s’étant notamment selon lui rendu coupable du crime de transphobie, étant entendu que toute objection, même prudente, aux déroutantes exigences trans vous vaut désormais séance tenante l’anathème automatique (oserais-je rapporter ici ce propos que m’avait tenu une ancienne collaboratrice, et qui me revient maintenant que j’y pense, jeune femme moderne — au sens de la jeune fille moderne gombrowiczienne — au style punk et gothique, féministe radicale participant à l’époque aux collages nocturnes dans Paris, insider autorisée peu suspecte donc de sympathies mal placées ; un propos de comptoir bien sûr hyperbolique, second degré, selon lequel, au sein des groupuscules politiques qu’elle fréquentait, les trans c’était des nazis, la jeune femme moderne voulant signifier par-là la toute particulière implacabilité de leur sectarisme idéologique. Bref…). Voilà donc quelqu’un, pour revenir à l’historien mentionné plus haut, qui, bien qu’adhérant sur le fond à une pensée fustigeant notre perte du sens de la mesure et de la juste proportion — car c’est là la problématique qu’explore sous maintes coutures Olivier Rey, en s’appuyant par exemple sur les critiques de l’école et de la médecine portées par Ivan Illich, en tant qu’institutions totalitaires s’octroyant abusivement une mainmise croissante sur tous les aspects, y compris les plus privés, de l’éducation et de la santé, ou encore en étendant à nos sociétés obèses et asservies par l’hybris technophile l’idée commune inaugurée par Galilée, selon qui « le monde ne saurait être invariant par changement d’échelle » : nous ne pouvons augmenter, densifier, accélérer, façonner et transformer indéfiniment notre milieu naturel et social sans perdre la juste taille d’échelle à laquelle ce milieu, dont nous sommes tributaires, reste viable pour nous — voilà donc quelqu’un, disais-je, qui refuse pourtant, par pur conformisme et soumission au catéchisme de l’époque, d’en tirer toutes les conséquences, notamment quant aux excès de l’activisme — vouloir à tout prix des hommes enceints, n’est-ce pourtant pas l’hybris par excellence ? Re-bref : il me semble que ce n’était pas ça qu’initialement j’étais venu vous raconter ; mais qu’est-ce que j’étais venu vous raconter, au juste ?

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À la recherche d'une forme

10 janvier 2024

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