Sur Twitter, le monde nous paraît sur le mode du grésillement continu. Un bruit chasse l’autre et réquisitionne l’attention. Le débit du flux nous maintient sous hypnose.
Le réseau social se nourrit du temps qu’on y passe : plus on est happé, plus on se laisse happer — sorte d’effet boule de neige. Sa popularité repose sur l’addiction que suscite son principe de fonctionnement.
Que peut bien signifier, vu d’ensemble (soit une vue impossible), ce conglomérat de soliloques ? Est-ce une miniature, approximative et mécanique, de la grande conversation universelle qui, orale ou intérieure, occupe chacun vis-à-vis des autres ? Une caricature ?
Si j’y prête trop l’oreille, son grésillement me ronge. Les élucubrations d’autrui s’invitent à ma conscience ; elles me préoccupent. Le spectacle des gens tels qu’ils s’expriment m’indispose. Ma voix même, en retour, en est parasitée.
Je m’étonne toujours, par exemple, de voir à quel point le fait d’être suivi en masse, repris et encouragé des centaines de fois, shooté non stop à la dopamine, attise l’opportunisme du petit vedettariat y sévissant. Comment en vient-on à sacrifier toute nuance et toute pudeur ? Ou est-ce justement l’absence de scrupules qui fonde le succès d’audience ?
Parfois, on se demande franchement ce qu’on fout encore là. J’ai, comme tout le monde, ma circonstance atténuante : c’est l’un des rares endroits où je m’autorise à revêtir un masque d’écrivain. Pour le reste, l’essentiel même, le réflexe, l’impulsion, l’habitude.
Imaginez-vous décochant vos traits les mieux sentis face à des dizaines ou des centaines de personnes, dans une salle de spectacle. Vous seriez alors la tête d’affiche d’un one man show. Sur Twitter, nulle performance scénique, mais un écho spectral : comme si vous répétiez la phrase que vous avez écrite à chaque fois que quelqu’un la lit.
Il nous faudrait formaliser une nouvelle batterie de figures de style pour inventorier la luxuriance d’hyperboles abusives, d’analogies trompeuses et d’impostures en tous genres qui fournissent au buzz perpétuel l’essentiel de son carburant. La bêtise, de nos jours, se pare d’habits sophistiqués.
On voudrait lui répondre, à la bêtise, lui faire publiquement rendre gorge, mais on sait bien que c’est impossible, sisyphéen. Comme l’écrit Conrad : « il y a des imbéciles de tant d’espèces différentes qu’on ne peut pas se prémunir contre tous. »[1]
[1]L’agent secret, traduction de Sylvère Monod
Last modified: 5 avril 2021