Peser dans le game

À la recherche d'une forme

7 décembre 2023

Nouveaux fragments 4

Je crois mériter mieux au travail aussi, et bien que je me foute à peu près complètement de ma « carrière » — je suis cadre comme d’autres sont ouvriers spécialisés, déterminisme et nécessité faisant loi — celle-ci occupe, que je le veuille ou non, une part considérable de mon temps ; et alors, petit prestataire (et que serais-je d’autre que prestataire, c’est-à-dire intermédiaire, simple moyen, puisque, indifférent au business, je me désintéresse absolument des fins ?) croupissant au service des lâches, des arrivistes, des cupides, des incompétents, de ces maudits épiciers bornés que sont les clients, pire engeance qu’ait enfantée le capitalisme — un jour peut-être leur dédierai-je enfin le pamphlet que je leur réserve depuis longtemps, et faites-moi confiance il sera d’une rare violence ! — je ne peux m’empêcher de penser parfois que je pourrais la réussir malgré tout, tant qu’à faire, cette carrière, peser dans le game, devenir manager d’une licorne, quoi que cela puisse bien vouloir dire, siéger au comité exécutif d’un grand groupe, décrocher la timbale et des primes mirobolantes, la grosse bagnole, la grande maison en banlieue ouest ou le loft à Montreuil, et pourquoi pas même la résidence secondaire, toutes choses auxquelles après tout sur le papier mon cursus devrait me faire prétendre, ce succès sans frein dont j’ai maints exemples parmi mes anciens camarades de promo ; j’y pense sans y croire car la gnaque qu’il y faudrait me fait défaut : à quoi bon deviendrais-je ce qui tant m’ennuie et me répugne ? C’est qu’on y perd son âme, et je tiens encore un peu à la mienne.

Last modified: 12 décembre 2023