Un beau matin, l’écrivain maudit s’aperçoit que la concurrence est rude : il voit d’autres écrivains maudits partout, qui comme lui s’apitoient à chaudes larmes sur leur propre sort.
Un tel exige qu’on lui décerne immédiatement le prix Nobel, ou il va faire un malheur (attention, il est armé). Tel autre, quoique déjà publié par plusieurs maisons d’édition bien en vue (ce qui ne fait apparemment pas obstacle à la malédiction), se plaint de ne pas assez vendre. Telle autre — une écrivaine maudite — est outrageusement invisibilisée par la masculinité toxique, ce qui lui vaut d’ailleurs de faire la une des magazines une semaine sur deux. Tel autre se targue d’avoir réinventé la littérature, sans qu’on sache au juste en quoi cela consiste, ses pages n’en étant pas moins constituées de phrases, elles-mêmes n’en étant pas moins constituées de mots. À qui veut l’entendre, tel autre se proclame le plus grand génie de l’histoire, un fardeau si lourd à porter que c’est l’unique sujet des milliards de signe qu’il enfante dans la douleur chaque année. Et cætera : les écrivains maudits sont si nombreux qu’un stade entier ne suffirait pas à les contenir tous.
L’écrivain maudit (le nôtre : le seul, l’unique, le vrai) se rend donc à l’évidence : la filière est bouchée, sans avenir. Il lui faut se positionner différemment sur le marché. C’est décidé, il se présentera désormais comme l’écrivain plus-maudit-que-les-autres. C’est malin : toutes ses cartes de visite sont à refaire…
Last modified: 15 octobre 2021