Est-il encore seulement permis de raconter des histoires ? De développer une intrigue, d’inventer des dialogues ? Non, à en croire l’injonction méta-littéraire à l’avant-garde, selon laquelle tout écrivain qui n’aspirerait pas à être un nouveau Joyce, ou un nouveau Beckett, serait caduc d’office. Quand je tombe sur ce genre de parti pris, et bien qu’il ne me soit pas adressé, et peut-être même ne concerne pas mon travail (écris-je vraiment de la fiction au sens traditionnel du terme ? De quoi parle-t-on exactement ?), je ne peux pourtant m’empêcher de me sentir visé. C’est mon côté susceptible et mal assuré, presque coupable ; c’est aussi l’aiguillon qui défie ma conscience. Ça me tiraille : puis-je encore suivre la dictée de mon instinct ?
Hier, dans le métro, cette femme assise à côté de moi avait une longue conversation au téléphone. En espagnol, à voix basse il faut le dire, du moins aussi basse que possible sans être assourdie par le roulis, pas assez basse donc pour ne pas me gêner dans ma lecture, et c’est vrai, à un moment, je l’ai regardée un peu de travers, sans insister non plus : il n’y avait pas mort d’homme. Quand elle a raccroché, elle s’est alors tournée vers moi pour s’excuser ; appréciable, et trop rare, mouvement d’urbanité. Peut-être d’ailleurs ce coup de fil était-il urgent, vital même, pour elle.
Last modified: 13 mai 2022