Les Mouettes

À la recherche d'une forme

31 janvier 2023

Quatre nages

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2014 : première inscription en club de natation amateur aux Mouettes de Paris, dans le 19ème. Des forcenés ; les entraîneurs comme les entraînés. Les premiers, quasi des sergents instructeurs avec des biscotos larges comme ma cuisse (le plus musclé d’entre eux était aussi le plus idiot, comme quoi ces deux grandeurs-là ont finalement peut-être entre elles quelque proportionnalité). Sévissant un temps à Pailleron, bassin de trente-trois mètres pour faire durer le plaisir (on n’en voit pas le bout), puis à Georges Hermant, cinquante mètres, heureusement divisé en deux (sauf pendant les semaines de vacances scolaires, que je redoutais pour cette raison ; et quel plaisir pourtant, quelle glissade, comprendrais-je aussi bientôt, d’aligner cinquante mètres d’une traite, quand on a la cadence).

C’est toujours une consolation d’atteindre le bout de la ligne, même s’il faut déjà repartir dans l’autre sens : le retour au bercail est bref, quand on fait non-stop la pendule. Une longueur de plus en tout cas, c’est toujours ça de pris sur l’éponge qu’à chaque seconde on jure de jeter. Et puis, dans le virage, le temps de se retourner, on sort la tête de l’eau, on se repose — on voit venir. Mais pas de ça chez les Mouettes, ces oiseaux de malheur : toutes ces graines de champions ayant pourtant passé l’âge de faire carrière y allaient allègrement de leur culbute sans même reprendre au préalable une inspiration. Au-delà du geste technique (associé au crawl) en soi déjà gratiné, cette galipette subaquatique qui m’envoie valdinguer de traviole à chaque tentative, déboussolé sans plus de notion du nord ni du sud, il y a le grave problème du souffle, puisqu’il s’agit d’amorcer vers le bas, en évaluant au mieux la distance requise pour une détente optimale (la question ne se posant même plus pour le nageur aguerri qui sait au coup de bras près combien de mouvements lui permettent d’accomplir une longueur), un demi-tour sous l’eau avant de se donner de l’élan d’une vigoureuse impulsion des pieds contre la paroi pour effectuer, toujours sous l’eau, la plus longue coulée possible en ondulant jusqu’à réémerger à la surface, et reprendre le fil de la nage. Exploit d’apnée inaccessible aux poumons racornis du fumeur que j’étais (et que je suis toujours, mais vapotant désormais, légèrement moins suicidaire donc, mais un peu plus ridicule), sans même compter que, comme s’il était nécessaire d’en rajouter, on est obligé de souffler par le nez (et donc de gaspiller un air précieux) quand on se trouve immergé face en l’air, ce qui arrive immanquablement à un moment ou à un autre au cours de la manœuvre, sans quoi — enfin, je ne sais pas vous, mais moi je n’y coupe pas — de l’eau pénètre dans les narines ; on n’avait pourtant pas besoin de ça pour s’étouffer. J’ai alors acheté l’un de ces petits pince-nez qu’utilisent les nageurs professionnels, mais même ainsi cadenassé, le tarin n’est pas étanche. En tout cas pas le mien ; sans doute un vice de fabrication.

Exercice : nager en battant des jambes uniquement, avec une planche sous les bras pour faciliter la flottaison à l’avant. Bon. Maintenant, faites la même chose, mais sans la planche. Bienvenue aux Mouettes.

Imaginez-vous devoir enchaîner à fond, en papillon, dix longueurs de trente-trois mètres avec, allez, quinze secondes de récup’ avant chaque départ. Ça m’est arrivé un jour, et m’est aussi presque arrivée du même coup ma dernière heure. Je crois bien que, sauf si ma mémoire m’abuse, surmené au-delà du point de rupture (j’ai moins souffert adolescent, en cours d’EPS, à traîner mes (nombreux) kilos en trop derrière mes sveltes camarades qui enfilaient comme qui rigole les tours de stade — c’est dire) j’ai prétexté devoir aller aux toilettes après sept ou huit longueurs, incapable ne serait-ce que d’un battement d’ailes supplémentaires (j’étais devenu plus autruche que papillon). Personne sans doute n’était dupe de mon excuse.

Ainsi étaient les Mouettes.    

Et moi dans cette galère, à la ramasse, toujours un train de retard sur la chenille qui roulait-compressait dans mon couloir. À grappiller des longueurs en moins de-ci de-là, tout en faisant mine d’avoir rempli le quota. Je n’étais certes pas le seul à souffrir, mais c’était bien moi qui souffrais le plus. Même cette nageuse à qui manquait un bras avançait plus vite que moi.  

Et je sortais de là cent-vingt longueurs plus tard, déglingué, avec le sentiment du devoir accompli.

Je vous dis pas la dose d’endorphine : de cheval.

Mon retour en Vélib’ ? Un vol en deltaplane.

À suivre (peut-être)…

Mouettes

Last modified: 7 mars 2024