Entrée en matière : ce texte est le premier d’une série de réflexions bric-à-brac à visée polémique qui me turlupinent depuis longtemps, dont on pourra trouver une sorte d’avant-goût dans les quatre textes que j’ai publiés à l’automne dernier sous le tag “Avocat du diable” — tag qui sera repris pour les textes à venir, agrémenté cette fois d’une numérotation, car il s’agira bien d’un tout dont il faudra lire successivement chaque partie pour ne pas perdre le fil, chose que j’en suis bien convaincu personne ne fera, puisque généralement personne (ou presque) ne me lit. Il y sera question de tout et n’importe quoi : de course à pied et de statistiques, d’inflation et de systèmes de retraite, d’Allende et de l’école de Chicago, des missions jésuites du Paraguay, d’avant-garde et de conformisme, et bien sûr : de littérature.
Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, les chiffres, comme tout bon littéraire attaché à la poétique du monde, à l’incalculabilité du sensible, ça me dégoûtait. Moi qui me suis mis à la course à pied pendant le confinement — et je me plais à croire que ce n’était pas par conformisme que j’embrassai cette mode dont j’étais le premier à moquer les zélotes, mais plutôt sous la contrainte : on avait alors privé de piscine le nageur que je suis ! —, j’ai longtemps résisté à la frénésie statistique qui ronge les pratiquants de cette ingrate discipline (si rebutante sur le papier, et pourtant on finit par aimer ça, au point d’en redemander !) : j’ai même tenu deux ans sans enregistrer la moindre donnée à propos de mes courses hebdomadaires, ni allure ni distance ni calories brûlées ni VO2 max — le diable si je sais ce que c’est ! —, avant de télécharger une application ad hoc, puis, je dois le confesser, la lubie s’aggravant sans remède dès le premier doigt mis dans l’engrenage, de me faire offrir un an plus tard encore une montre Garmin par mon père ; car non content de mesurer mes courses, je voulais désormais aussi mesurer mes nages, ce pour quoi les smartphones sont un peu trop encombrants, et pas assez waterproof. Ce ne fut d’ailleurs pas sans honte que je l’étrennai lors de l’entraînement de la Vanves Swim Team (section adultes amateurs) suivant mon anniversaire : une montre au poignet d’un homme dans le presque plus simple appareil (en maillot de bain, quoi), ça se voit comme le nez au milieu de la figure !
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Last modified: 27 mars 2025