Lire l’épisode précédent : où l’on vous laisse à penser quel potage
Ici je dois à mon lecteur un mea culpa, car sur ce dernier portrait je force volontairement le trait ; on peut être décroissant sans revenir au tribalisme sauvage, comme maints mouvements autonomistes semblent l’illustrer avec plus ou moins de succès, zapatistes au Mexique, zadistes intermittents sous nos latitudes — encore que les baraquements crottés des zones humides ne fassent guère envie — ou tout simplement néo-ruraux s’organisant en communautés à taille humaine, vivant à l’écart du courant mainstream et faisant profession d’écologie radicale. Par rapport à l’esthète révolutionnaire post-moderne et petit-bourgeois qui psalmodie son Deleuze pour mieux renâcler au travail, ceux-ci ont au moins le mérite de ne pas prétendre s’affranchir des contraintes matérielles qui de la vie font une vallée de larmes, en les déléguant à des machines ou à des livreurs Uber eats : c’est que, si l’on veut s’émanciper du capitalisme, il faut tout à la fois construire et maintenir son habitat, pourvoir à son eau et à son combustible, tisser ses vêtements, nourrir ses animaux et cultiver sa parcelle, instruire ses enfants, et s’il reste un peu de temps à la fin du jour, débattre en assemblée des décisions qui engagent le collectif… Trois petites heures suffisent-elles à s’acquitter de tout cela ?
À cet égard, le livre d’Aurélien Berlan, Terre et liberté : la quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance, où son auteur a le mérite remarquable d’articuler une thèse philosophique consistante avec une expérience du terrain qui ne se berce pas d’illusions, m’a tout à fait découragé de me risquer à emprunter une telle voie, tout en forçant mon respect vis-à-vis de ceux qui y parviennent. Il y a non seulement, honte à moi, que je ne sais pas faire grand-chose de mes dix doigts, mais plus rédhibitoire encore — car le travail manuel, on peut toujours s’astreindre à l’apprendre sur le tas —, que le joug communautaire d’une idéologie confinant nécessairement au mormonisme rebute le féroce individualiste en moi, ainsi façonné par mon époque et mon histoire personnelle : qu’y puis-je ? Quant à en faire un modèle applicable à un pays entier, voire au monde, il semble inévitable qu’un si massif changement d’échelle sécrète à tous les étages des institutions parasites confisquant le pouvoir à leur profit.
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Last modified: 21 avril 2025