Publier mon livre m’a valu l’inimitié d’un vieux copain

À la recherche d'une forme

27 juin 2021

Lorsque j’ai décidé d’autoéditer mon roman, j’ai dû envisager tous les moyens d’en faire la promotion, bien que ce fût là l’aspect de l’entreprise qui me rebutât le plus. Mais je ne me faisais pas d’illusions : personne ne s’en chargerait à ma place, et sans ça, mes exemplaires finiraient tous au pilon (j’avais opté pour un mode d’édition traditionnel qui ferait la part belle à la qualité du livre — ce qui implique du stock — plutôt que pour l’impression à la demande façon Amazon, avec son rendu bas de gamme).

Recourir au crowdfunding notamment, en amont de la sortie du livre, constituait le meilleur moyen d’amorcer la pompe en intéressant mes connaissances au projet. L’objectif premier n’était bien sûr pas financier, puisque la collecte a finalement couvert à peine un tiers des dépenses engagées pour la production du livre.

Tout au long de la campagne de financement, je publiai donc une série de textes sur lesquels je travaillais depuis un an, et qui formaient une sorte de manifeste littéraire mettant ma démarche en contexte. Bien sûr, au profane en matière de littérature, ces textes devaient paraître bien abscons : ils furent mieux compris des quelques abonnés qui suivent les parutions de mon blog et partagent mon intérêt pour la littérature que de mes accointances dans la vie réelle…

C’est qu’il me fallait jouer sur ces deux tableaux : les profanes (mes connaissances) et les initiés (ma maigre audience en ligne). Je diffusai donc ces textes un par un sur mon blog, et les relayai sur Twitter ainsi que via une newsletter dont j’avais soigneusement composé la liste de destinataires. J’avais beaucoup de scrupules à spammer les gens, mais je devais dans le même temps viser large sans quoi, statistiquement, le crowdfunding échouerait : combien étaient prêts, quand bien même me connaîtraient-ils personnellement, à ouvrir l’e-mail, à lire le texte qu’il contenait, à cliquer pour se rendre sur Ulule et enfin à précommander le livre ? Un sur dix, un sur cent, un sur mille ? Pour chaque destinataire, parent, ami, copain, camarade, collègue, perdu de vue ou non, je pesais longuement le pour et le contre, pour aboutir finalement à une liste d’une quarantaine de personnes. 

Il me faut encore préciser que j’offrais la possibilité, pour 28€, d’acquérir un exemplaire tout en participant à une petite soirée de dédicace, au nombre de places limitées, prévue à l’occasion de la sortie du livre le 17 septembre 2020 (ce qui, en contexte de pandémie, fut encore un casse-tête : devais-je maintenir ou annuler, sachant en outre que j’avais déjà décalé la date une première fois ? C’était pour moi l’aboutissement de plusieurs années de travail, et je m’arrachai les cheveux. Finalement je maintins ; une douzaine de personnes y assistèrent, et aucun cluster ne s’ensuivit).

À deux jours de l’événement, sur la conversation WhatsApp de mes vieux copains de lycée — où l’on entretient ces amitiés de groupe, antédiluviennes, ataviques, qui avec le temps se sont fossilisés en contrainte familiale et ne tolèrent en leur sein les prédilections seul à seul que dans la mesure où celles-ci restent strictement subordonnées, en toute transparence, à l’emprise panoptique du collectif, selon une logique à laquelle répugne mon tempérament solitaire —  sur la conversation WhatsApp de mes vieux copains de lycée, donc, où je ne me manifeste que rarement pour les raisons sus-citées, l’un d’entre eux, qui n’avait pas souscrit au crowdfunding, me demanda innocemment à quelle heure et où aurait lieu la soirée. C’était un piège.

Bonne poire, j’y vis un remords de dernière minute, et lui demandai sans ambages s’il avait finalement envie de venir, prêt donc à l’accueillir. Semblant n’attendre que cela, il m’adressa, sous l’œil de nos amis communs, un véhément diatribe pour me signifier qu’il aurait volontiers participé si je n’avais pas choisi de conditionner l’invitation à la précommande du livre, ce qui constituait visiblement pour lui un véritable outrage. Il m’accusait en effet de privilégier ainsi le tout-venant, pour peu qu’il me finançât, à ces vieilles amitiés qui ne peuvent de la sorte « se monnayer au prix fort » (ce sont les mots qu’il a employés, ignorant sans doute que tout cette entreprise était à pure perte, financée par mes soins à seule fin de faire exister mon pauvre livre). C’était bien là la preuve de mon « élitisme », ce même élitisme que je reprochais pourtant aux éditeurs qui n’avaient pas publié mon livre, ce en quoi il n’avait rien compris, car selon moi, si les éditeurs avaient été élitistes dans le bon sens du terme, ils m’auraient publié sans barguigner. Il aurait donc fallu, selon lui, que j’organise une fête ouverte à tous les vents à l’issue de laquelle, bon prince, monsieur aurait peut-être consenti à m’acheter un livre, après avoir fait bombance sur mon dos avec tous ses vieux copains.

Imaginez le tableau : j’organise une boom à tout casser, à mi-chemin entre l’anniversaire et le mariage, invitant un maximum de gens dans l’espoir statistique qu’à la fin de la soirée, certains d’entre eux, à leur discrétion, s’estimant suffisamment séduits et cajolés, daignent me faire l’aumône du prix d’un exemplaire. Jeux de lumière, sono d’enfer et petits fours sophistiqués, on s’enjaille, danse et s’enivre, et moi au milieu, debout sur le tréteau, braillant à qui mieux mieux la réclame de ma camelote pour couvrir le bruit de la musique et emporter le morceau. 

Mon sang ne fit qu’un tour, et je lui répondis vertement, en des termes qu’on pourrait résumer ainsi : s’était-il pris pour ma mère, à me dicter les modalités selon lesquelles j’aurais dû mener un projet qui n’appartenait qu’à moi ? C’est que, tout à son délire égocentrique, s’étant pris pour le Roi de l’échiquier, il considérait le problème à l’envers : c’est bien mon cercle le plus étroit qui finalement prit part à cette soirée, par affection et pour me soutenir ; mes parents, ma fratrie et quelques-uns de mes plus vieux amis qui de longue date s’intéressaient à mon travail, et non pas, comme son esprit tordu l’avait conjecturé, une cohorte sans âme de mécènes fortunés à qui j’aurais, vénal avant tout, déroulé le tapis rouge. 

Autour de nous, les autres ne pipaient mot. Dans le même mouvement, je quittai le fameux groupe WhatsApp.

Bien que peu amène, il avait pris soin, dans sa missive publique, de ne pas aller jusqu’à l’insulte. Mais il ne devait pas s’arrêter là puisque je reçus le lendemain dès l’aube un e-mail long comme le bras, adressé cette fois-ci à moi seul, auquel je ne répondis jamais. J’ai pour principe en effet, quand elles surviennent, de ne pas alimenter ces joutes stériles : il y a d’autres choses à faire, dans le temps qui nous est accordé, que de donner du grain à moudre aux cons.

C’était une tirade pénible sur le sens du mot « amitié », doublée de son analyse personnelle de mon tempérament, où il me reprochait pêle-mêle, je cite, de « vomir littéralement les gens » (ainsi interpréta-t-il l’extrait de mon roman que j’avais mis en ligne sous la forme d’un teaser), de m’être « radicalisé dans ma tête » (sic), de « m’en branler royalement » (re-sic — il était là question de mon rapport aux événements qui pouvaient survenir dans la vie de mes amis, comme s’il était le porte-parole d’un règlement de comptes collectif), mais aussi « mon melon hallucinant » (je savais d’ailleurs, en me livrant à cette téméraire entreprise, que je m’exposais à ce qu’un imbécile ne manque pas de faire ce contresens ; contresens parce que, au contraire, en m’auto-éditant, j’avais abdiqué tout l’orgueil de qui veut accéder au statut flatteur d’écrivain officiel) et autres joyeusetés du même acabit qu’il devait conclure, à sa manière passive-agressive (comme on dit maintenant), d’une cerise sur le gâteau (de merde) : « J’espère que tu comprendras un jour. Ce jour-là, je serai ravi d’échanger avec toi et de te compter à nouveau parmi mes vrais potes. Amitiés. »

Si par hasard il tombe un jour sur ce récit — ce qui me paraît hautement improbable puisqu’il n’a jamais manifesté le moindre intérêt pour mon travail, ni pour la littérature en général, qu’il ne fréquente, de très loin, qu’à travers les soporifiques adaptations cinématographiques du Seigneur des Anneaux — il saura au moins à quoi s’en tenir : son « amitié », il peut se la mettre où je pense.

Copain

Last modified: 12 septembre 2021