Chez les experts s’étant livrés au commentaire médiatique de la crise du Covid-19, jouissant d’une influence démesurée sur l’opinion publique, deux positions antagonistes se sont affrontées dès le départ : l’optimisme et le pessimisme. Mon étonnement part du fait que, alors que les deux camps se sont massivement trompés tout au long de leurs oracles quotidiens, l’un a rapidement été ostracisé (les optimistes, qu’on a d’ailleurs ridiculisés sous le ricanant sobriquet de « rassuristes ») tandis que l’autre a continué de bénéficier d’une confiance aveugle (les pessimistes, auto-promus au rang des dignes représentants de la Science Véridiquement Vraie). Ces derniers ont pourtant soutenu mordicus toute une série de propositions qui, avec le temps, se sont avérées fausses et, plus grave encore, ce sont leurs prévisions catastrophistes, modélisées selon des hypothèses amplifiant à outrance les effets de l’épidémie, et toujours démenties d’ailleurs a posteriori, qui ont présidé aux décrets arbitraires du gouvernement tout en décuplant la panique collective. Aujourd’hui encore ils plastronnent avec une morgue invraisemblable, sans se sentir tenus au moindre mea culpa.
On peut reprocher aux « rassuristes » d’avoir minimisé l’événement, mais ils ont au moins eu le mérite de ne pas penser la crise qu’en termes sanitaires ou hospitaliers, témoignant de préoccupations d’ordre plus global quant aux conséquences sociales de mesures aussi brutales et inédites que les confinements, couvre-feu et autres claquemurages à tout bout de champ. Non pas qu’il eût fallu les écouter inconditionnellement eux, plutôt que leurs adversaires, mais tolérer au moins un contrepoids aux prescriptions de ces derniers, complaisamment vautrés dans leurs scénarios d’apocalypse, s’illustrant par l’étroitesse d’esprit propre à l’expertise dans ce qu’elle a de plus mesquin, jouissant de leur emprise avec un opportunisme obscène.
Exception faite de ceux qui, dans l’unilatéralisme ambiant, cèdent à la paranoïa complotiste, et des voix dissidentes, fondées en raison mais commodément assimilées au clan précédent et par là même mises au ban du débat, nous devons bien prendre acte du fait que c’est la société tout entière, avec sa classe politique, ses médias, ses médecins bien sûr, et tout au bas de l’échelle du discours légitime, sa « majorité silencieuse » (quoiqu’elle fasse bien du bruit, de nos jours), qui a collectivement sombré dans le choix unanime — choix culturel voire civilisationnel, suis-je tenté d’écrire — du pessimisme. Et cette question alors : pourquoi cette soif d’apocalypse ? Pourquoi cette volonté du pire, contre toute raison et toute donnée objective ? De quel syndrome conjoncturel, relatif à notre époque, à la société que nous formons, au régime sous lequel nous vivons, est-ce le symptôme ?
À cet égard, il est assez cocasse de constater que la gauche universitaire se voulant radicale, à travers les critiques qu’elle exprime en ligne, croit lutter contre la politique menée par le gouvernement, comme si elle lui opposait une quelconque contradiction, une vision alternative, alors qu’elle n’en incarne en réalité qu’une version extrême, poussant sa surenchère scientiste jusqu’à l’insensé : toujours plus d’enfermement, toujours plus de mesures hygiénistes, toujours plus de brimades bureaucratiques dont accabler le pékin moyen — toujours plus de trouille et de psychose. De là, cette conclusion : le monde que cette gauche-là nous vend est bien pire au fond que l’ordre établi qu’elle prétend subvertir.
Last modified: 12 septembre 2021