Week-end à Moulins, je suis en visite (familiale). À chaque fois que je viens dans le coin, je pense à cette curiosité des environs, la Débredinoire, sise en l’église du village de Saint-Menoux, « un sarcophage contenant les restes de Saint Menoux, percé d’un trou dans lequel les simples d’esprit sont censés passer la tête afin de recouvrer la santé mentale. » (Wikipédia) Combien de temps faudrait-il pour que tout le monde passe sa tête là-dedans, à la queue leu leu ? Le pays s’en porterait-il mieux ? Je remarque qu’à Moulins, on est très tatoué ; visible aussi à l’œil nu, un certain taux d’obésité. À Bourbon-Lancy, cuisses de grenouilles à volonté : tout de même, quel carnage pour remplir rien qu’une assiette qui doit bien contenir quinze individus, et le restaurant décime sans doute des colonies entières à chaque service. Le soir à Moulins, dans un recoin de la place de l’Allier, la patronne du P’tit bar fait trôner son minuscule chihuahua au poil ras parmi les clients de la terrasse, avachi les quatre fers en l’air (fers qu’il a chaussés de chaussons) sur un coussin dans une sorte de transat pour chien comme il y a des transats pour bébé, lequel transat est posé sur une table, hauteur d’où le chien nous surveille d’un air peu amène comme depuis une tour de contrôle. La patronne, du genre gouailleur et sans âge, le prend dans ses bras et, s’adressant à des habitués ou à la cantonade, on ne sait pas trop, entame une anecdote à son sujet : « La semaine dernière, il a niqué une poule. » Dimanche matin, seul dans ma ligne de nage à la spacieuse piscine municipale : bonheur parfait. Souhaitant changer de radiateurs, et donc se rendre dans une boutique spécialisée, M. me dit : « Faut que j’aille à Toulon… » Comme je m’en étonne, trouvant exagéré d’aller aussi loin pour une histoire de radiateurs, elle précise : « Mais non, à Toulon-sur-Allier ! » À treize heures le JT de France 2 — je ne regarde jamais le JT, mais il faut bien admettre que, au dimanche en province, ça va comme un gant — s’ouvre sur l’Eurovision, remporté la veille par l’Ukraine grâce aux suffrages du public. La chanson mise à l’honneur a été écrite avant la guerre et pourtant, explique le speaker, ses paroles résonnent avec l’actualité, preuve non pas que la chanson aurait anticipé la guerre, mais qu’elle raconte rigoureusement n’importe quoi, comme à peu près n’importe quel tube de pop. Apparemment, les européens ont voulu faire passer un message politique fort en récompensant l’Ukraine. Quel message ? Peut-être ont-ils voulu dire que, à la guerre, nous opposons la musique, mais de préférence la pire qui soit ? Que, à l’horreur, nous répondons par la laideur ? Un ukrainien est interviewé : « La musique ukrainienne est l’une des plus mélodieuses du monde. » Apparemment c’est décidé, l’année prochaine l’Eurovision aura lieu à Marioupol : voilà qui pour le moins témoigne d’un curieux sens des priorités. Après l’Ukraine, il sera successivement question d’une tuerie à l’arme lourde aux États-Unis, des chiens de Saint-Hubert, prisés par la police pour leur flair infaillible, et d’une tendance touristique à la mode : « J’irai dormir chez un artiste : le concept fait des émules. […] Une expérience authentique qui a un coût. » Un débouché inespéré pour l’écrivain maudit ?
Last modified: 30 mai 2022