Rentrant chez moi par la ligne 12, mon attention est attirée par l’écho d’une tractation se déroulant non loin de moi, mais n’impliquant pas l’habituel mendiant. Je lève les yeux, et en effet c’est un jeune garçon, dans les dix ans, bon chic bon genre, qui passe entre les rangs pour vendre des billets de tombola. Il aura eu l’idée, me dis-je, plutôt que de se limiter aux habitants de son quartier — à raison sans doute, car dans la grande ville anonyme il ne doit pas être plus familier d’eux que des passagers du métro, au point qu’entreprendre à Paris un tel démarchage, quel que soit l’endroit, paraît de toute manière incongru, anachronique même : nous ne sommes plus au village, que diable ! —, il aura donc eu l’idée de maximiser ses chances, d’abord en se concentrant sur l’un des endroits les plus passants avec en outre une clientèle sans cesse renouvelée, ensuite en jouant sur l’effet de surprise et d’attendrissement, profitant du contraste favorable que lui assure sa jolie tête blonde vis-à-vis des pauvres hères qui ont habituellement ici le monopole de la quête. Nul doute que si sa récolte est bonne, on saluera son audace, il a le sens du commerce le petit, et alors lui sera promis le plus bel avenir. Mais ce faisant, ne vole-t-il pas leur pain aux SDF ?
Et voilà-t-y pas que je le retrouve quelques minutes plus tard, mon bambin, poursuivant sa quête dans le bus 323, me réitérant sa demande sans se douter qu’il me l’a déjà adressée dans le métro — le risque du métier, quand on ne connaît pas ses prospects. Peut-être fait-il en fait d’une pierre deux coups, mettant son trajet depuis l’école à profit pour sa tombola, mais je préfère imaginer qu’il dérive au hasard des terminus, de métro en bus, de tramway en TGV, d’avion en ferry, de chameau en pousse-pousse, se laissant ainsi transbahuter d’un bout à l’autre du monde, son carnet à souche à la main, les poches lourdes de menue monnaie.
Last modified: 2 juin 2022