Après notre excursion au large sur le voilier plus que centenaire, il nous faut rebrousser chemin et nous extirper de la foule susmentionnée, ce qui dans le centre congestionné de la petite station balnéaire ne se fait pas sans mal, si bien qu’à un moment notre fils aîné et moi sommes contraints de nous arrêter sur un trottoir pour attendre que nous rejoigne ma compagne qui a la tâche délicate de manœuvrer, arrimée à son vélo, la carriole convoyant notre fils cadet. C’est là que m’apostrophe un type surgi de nulle part, l’air hébété :
— Vous êtes français ?
— Euh, oui…
— Non mais vous avez vu ce monde ?
Ou quelque chose comme ça. Il a manifestement besoin d’épancher son âme auprès du premier venu quant au chaos touristique qui s’empare l’été de Noirmoutier en l’île. Il évalue quelques causes possibles, « les gens n’ont plus assez d’argent pour partir à l’étranger » ou « depuis le covid… », et quant à moi je me sens tenu de préciser que je réside à l’Épine, comme pour lui signaler que je n’ai rien à voir avec tout ça (est-ce seulement vrai ?). Comme la conversation patauge, j’y mets toute la bonne volonté que j’ai sous la main, et lui demande s’il est d’ici.
— Ça fait dix ans, je suis plombier-chauffagiste-électricien, j’ai travaillé sur le chantier Agnès Varda ! (fier)
— Le chantier Agnès Varda ?
— C’était une cinéaste…
— Je sais qui est Agnès Varda, mais… le “chantier” ?
— Elle a retapé une maison à la Guérinière, un vrai petit château avec trois salles de bain et vingt-deux radiateurs. Je vous laisse imaginer combien de pièces ça fait, vingt-deux radiateurs !
Sur ces entrefaites, ma compagne et la carriole et notre fils cadet nous ayant rejoints, ce qui m’arrange un peu car, niveau small talk, je suis à sec, je prends congé du type et remonte sur mon biclou : je n’en saurai donc pas plus à propos des radiateurs d’Agnès Varda qui, vérification faite, a semble-t-il acquis sur l’île, quelques années avant sa mort, un ancien moulin, du même genre que celui servant de modèle au peintre.
Last modified: 26 août 2025
