Semana Grande, endroit : foules bon enfant de jour, armadas de poussettes suivant la procession des géants, ces personnages en plâtre, hauts de cinq ou six mètres, costumés pour incarner différentes classes sociales — le bourgeois et la bourgeoise, le berger et la paysanne, le militaire et la dévote, l’artisan affublé d’un maillot de l’Athletic Bilbao (ou est-ce un prolétaire ?) qui effraient Jacques comme m’avaient effrayé, plus de quarante ans plus tôt, ainsi que le raconte parfois mon père, les cabezudos défilant en Galice — danses traditionnelles et bal populaire sur la Plaza Nueva, chants basques entonnés impromptu par des choeurs d’anciens, coiffés de l’indéboulonnable béret, devant les tabernas où s’émèchent gentiment les piliers de l’apéro méridien, débit frénétique de pintxos et de cañas et de txakoli sur tous les zincs de la ville, fanfares et troubadours à tous les coins de rue.
Mais quand le jour décline, l’ébriété tend vers la biture de masse, l’heure arrive où tout s’accélère, où se déchaîne la teuf, comme en témoignent la recrudescence de tatouages, de piercings et de teintures fluorescentes, et le repli prudent des familles nageant maintenant à contre-courant d’une horde prête à tout emporter sur son passage (et je pense aux foules inquiétantes, surgies de nulle part pour détruire méthodiquement la ville dans La Mélancolie de la résistance), légions pressées d’abolir collectivement leur conscience.

Last modified: 4 septembre 2025