L’humour lui-même se mécanise. Il y a des tournures de phrase, des tics oraux ou d’écriture dont on sait, par convention, qu’ils sont censés introduire un certain type d’effet comique leur correspondant. La tournure convenue joue comme un opérateur, appliquée à une variable susceptible d’emprunter alternativement sa valeur à des ensembles disjoints, s’excluant les uns les autres, selon la sensibilité du public auquel on s’adresse : la variable choisie doit relever d’un répertoire idéologiquement approprié. Par exemple, on pourra appliquer un opérateur de dénigrement ou de dérision, toujours formulé à l’identique de sorte qu’il soit reconnu comme tel au premier coup d’oeil, à une personnalité politique qu’on aura soin de sélectionner parmi le camp adverse aux idées qu’on professe. On rira si on appartient au bon camp, on s’offensera dans le cas contraire : tout dépend de l’ensemble auquel on appartient soi-même. La formule est réversible.
C’est l’opération élémentaire ; bien souvent on croisera plusieurs variables avec différents opérateurs pour former une proposition plus complexe, on intriquera ensemble des locutions prémâchées, mais instables, sujettes à des fioritures escamotant parfois si bien l’imitation qu’on aura l’illusion de voir se manifester une langue spontanée. D’autres fois, à l’inverse, l’opérateur joue seul, nu, sans même être fonction d’une variable, comme signe autosuffisant de ralliement universel. L’onomatopée peut alors s’allonger jusqu’à former une phrase.
La chute n’est plus tant affaire de surprise que d’atavisme : on fait rire ses coreligionnaires comme le médecin vous stimule le genou avec son marteau à réflexes. L’indignation, dont le registre domine aujourd’hui tous les autres, repose sur le même principe : elle a ses jérémiades toutes prêtes et ses têtes de Turc interchangeables.
Ainsi va la langue, s’automatisant.
Last modified: 6 avril 2021