Coquet pays où tout absolument — briques gazon vérandas becs de gaz — est bien rangé (ordonnancement bourgeois que fracasse certes désormais le sempiternel masque souillant par terre ou obstruant du bon iode un visage pourtant seul — n’était le mien — seul sur la promenade).
Rivage sable et sel : promesses de palais, coquilles et caravelles, rayées d’une ondée qui tambourine depuis ses tropiques natales (c’est donc ainsi rincée qu’elle reste propre, la Normandie).
Reclus dans l’abri douillet, le rire irréfragable — emplissant tout l’univers — de l’enfance, ses trilles en cascade sans frein, une houle déchaînée, jusqu’à ce que tôt ou tard — badaboum — la coque contre un récif se brise, le rire fond en larmes, petit mousse à consoler.
Grimpe, grimpe, mousse vaillante, siècle après siècle, corrode ta jetée ! (ou est-ce le dos empierré de quelque baleine fossile ?)
Intermède avitaillement, eh oui, on est bien obligé : clinquant comme un casino, le géant supermarché, ses contingents à perte de vue, armés jusqu’aux dents, au garde-à-vous pour la revue. Et l’impatience du fils qui, déboussolé par l’abondance, s’abandonne à l’impetus : cavalcade dans les rayons.
Aube intrusive à travers les volets intermittents : bienvenue à la clarté, et son cortège de merles (qui trillent eux aussi, mais rient-ils ?).
Ce matin, savourant une cigarette (en vacances, c’est permis), incrédule vois passer devant moi ce qu’il faut bien appeler des connards, à méga-moto sur la promenade pourtant strictement piétonne : leur cul doit donc y être vissé (d’où la largeur du tank) pour que même là, la seule idée de mettre un pied à terre leur brûle déjà trop de graisses. Incurable engeance !
On range donc même le sable : luttant contre l’érosion des sols (nous n’avons pas de meilleure hypothèse) un tracteur dur à la corvée remet sisyphalement en place, sur toute la longueur de la plage, le sable inlassablement déplacé par la marée. Drôle de guerre des titans (titan de fer contre titan liquide : sûr qu’au bout du compte, à la fin des siècles, c’est l’eau qui gagne, s’il en reste toutefois).
La mousse et la marée : même combat ?
La vue dégagée, le mode urbain loin, son tumulte hors de portée : requinque.
« Faudrait trouver une corde et l’attacher au fauteuil » : le fils invente des jeux dont le sens, évident pour lui, incontournable même, nous échappe. Il fabrique, dit-il, un propulseur.
Puis, avec épuisette et pelle, farfouille le sable humide à marée basse, déterre des crustacés, morts ou vifs, des trésors, et une arénicole, un ver « gros comme ça » (accompagner d’un geste avec les mains).
Admonester les crabes
Lande d’algues battue par les vents, fouie par les mouettes.
Si la mer se retirait jusqu’au milieu des océans, on irait en randonnée visiter les plateformes pétrolières. La fosse des Mariannes à marée basse, on y descendrait en rappel.
Quand on écrit ce qu’on vit au moment où on le vit, vit-on encore ?
Last modified: 4 juillet 2022