Vignettes à la volée du coquet pays (2/2)

À la recherche d'une forme

20 juin 2022

Du 25/05/22 au 28/05/22

Si je remonte le fil de mes épiphanies littéraires, à la recherche de l’auteur originel m’ayant le premier insufflé ma vocation (mon patient 0 en quelque sorte), enjambant à rebours tous ceux qui, entre lui et moi, l’ont par la suite actualisée à nouveaux frais par déclics intermédiaires, je retourne à mon cher Conan Doyle.

Havre de paix jalonné des vestiges des massacres. Allez donc expliquer le débarquement à un garçon de quatre ans qui s’entiche d’un canon-pour-de-vrai : on a beau lui dire, avec des mots qu’on s’efforce à sa portée, que la guerre est tragédie, ces histoires de bombardements ça l’excite, et voilà qu’il lui prend de vouloir jeter des cailloux. Tout est toujours à refaire.

Carrousel dépressif qui tourne au ralenti, avec ses chevaux grimaçants, ses rouages grinçants, sa bande-son lancinante, son chapiteau décoré d’angelots kitsch (Gloria in excelsis Deo, lisent-ils sur un parchemin). Ambiance de cirque à l’abandon, raccord avec la grisaille du jour ; on s’attend à voir surgir à tout moment, de derrière les buissons, le clown aux dents pourries du film d’horreur.

Certes écrire c’est peut-être vouloir dire le monde, mais surtout, ce faisant, s’occuper à autre chose qu’au monde : s’en retrancher.

Depuis mon balcon, à défaut d’admirer le coucher de soleil dont la vue m’est cachée par un pan de la maison voisine, je regarde les gens qui, depuis la promenade, photographient ledit coucher de soleil.

Tout se passe comme si tout se passait comme si.

À l’intérieur de chacune des quelques moules ramassées à marée basse, nous nous rendrons compte après cuisson qu’il y avait un minuscule crabe. Ce qui nous dissuadera tout à fait, peut-être à tort, d’y goûter. Cette question alors : de la moule et du crabe, qui était le prédateur ? Qui était le mangé ?

Dans la boîte à livres du Château de Guillaume le Conquérant, parmi les habituels Paul-Loup Sulitzer (qui lit ça ?) et Patricia Highsmith, un livre sur la recherche en biologie moléculaire.

Sur la plage sans cesse nous arrivent des bribes des conversations des passants qui défilent mollement sur la promenade dans notre dos, bribes dont nous inférons une étonnante, quoiqu’approximative, loi statistique : ils sont décidément nombreux, ceux qui font la causette à leur chien.

Et vogue la goguette !

Dans le jour entre le sommet de la haie et, quelques dizaines de centimètres au-dessus, le dernier barreau de la clôture à claire-voie du jardinet, j’entrevois, cas de le dire, la mer et sa ligne d’horizon. Trois lignes parallèles, mais les parallèles n’existent pas.

Vues de ma fenêtre : deux parenthèses qui pirouettent, virevoltent, se refusent l’une à l’autre, ne s’ouvrent ni ne se ferment. Deux marionnettes au gré du vent ; et tirant à l’autre bout leurs ficelles, eux-mêmes ballotés par l’écume : des kitesurfeurs.

Le ressac ça va bien cinq minutes, mais il y faut du double vitrage.

Le vent, lui, ne se laisse pas ranger. Il décoiffe les massifs et rend les herbes folles.

Faire un château de sable, mais branlant, écroulé de toutes parts, en ruines, pour imiter les châteaux forts non pas tels qu’ils furent à l’époque, mais tels qu’ils nous sont parvenus.

L’oisiveté n’a qu’un temps, bientôt dissoute dans la mélancolie du départ.

Pays

Last modified: 4 juillet 2022