Tous les musées devraient être comme la maison de Rodin à Meudon. Jardins paisibles et aérés, pelouses non fauchées où trône un géant Balzac dont la stature sur promontoire, vue d’en bas, se détache massivement sur le ciel post-canicule ; allées silencieuses et ombragées, et un modeste ensemble d’œuvres à découvrir, essentiellement des modèles (dont plusieurs Balzac et le Monument aux bourgeois de Calais), des études et des « abattis » en plâtre rassemblés dans une galerie lumineuse. Les mains modelées par Rodin, alignées derrière des vitrines, fascinent ; l’une d’entre elles semble en train, prise sur le vif, de poser un délicat accord de piano.
On y prend le temps de déambuler sans urgence de voir, on y fait halte sous un arbre pour le goûter. Le travail du sculpteur, en cet écrin qui fut son atelier — travail non incorporé, donc, à l’abstrait dispositif d’inventaire muséal — semble à sa place : il est ici chez lui. Faible affluence (dont une américaine toute fardée, avec ombrelle et tote bag estampillé The New Yorker).
Mon fils, les poches pleines de cailloux — son bermuda lui tombe — piochés dans les allées, devant un exemplaire monumental du Penseur sous lequel reposent le sculpteur et sa femme Rose, demande à sa mère : « Est-ce que tu penses à la pensée ? »
On se croirait à la campagne, et pour cause : sous la colline des Brillants — sous nos pieds en quelque sorte — se trouvent d’anciennes carrières de craie souterraines, vestiges de l’architecture industrielle, qui rendent une partie de la zone inconstructible. Or, par ici, des terrains abandonnés aux bois, à de bêtes arbres sans qualité paysagère avérée — c’est ainsi qu’on parle dans les documents d’urbanisme, comme me l’a appris A. qui s’est passionnée pour le sujet ce week-end — des terrains non encore bétonnés à coups d’immeubles de dix étages, on se doute bien que ça suscite la convoitise : quel gâchis ! Il est donc prévu de combler les carrières, en y enfouissant les déchets de terre engendrés par les travaux du Grand Paris (d’une pierre deux coup, et pour les riverains, l’incessant défilé à venir des camions-bennes chargés de gravats). Les pouvoirs publics prétextent un risque d’effondrement — puisqu’on vous dit que c’est pour votre bien ! — qui rendrait l’opération indispensable, avis que ne partagent pas les opposants au projet. Indispensable on ne sait pas, mais juteuse, assurément !
Last modified: 18 juillet 2022