L’été mondain 2 : l’anniversaire

À la recherche d'une forme

12 août 2022

2/08/22

Et puis tiens donc, il y a quelques jours, l’anniversaire d’un copain où je me suis rendu brièvement histoire de me changer les idées, de sortir de ma bulle comme on dit (bulle dans laquelle, une heure et demie plus tard, je suis retourné me calfeutrer ventre à terre, après quelques bières de rigueur et autres récréations moins autorisées), une de ces soirées mondaines (quoiqu’un peu trop entre couilles), station debout, où l’on passe de groupe en groupe pour discutailler, placer ses bons mots avant de les colporter ailleurs, jouant à l’électron libre à l’aise dans n’importe quel élément — encore une de mes hantises de jeunesse, n’ayant jamais trouvé quoi dire à quiconque en ces occasions, heureusement depuis j’ai mûri, fourbi ma repartie, et surtout je n’ai plus honte de me trouver planté seul comme un piquet dans un coin : on est toujours mieux livré à soi-même, personne pour vous emmerder…

Cette fois j’ai noté sur mon smartphone quelques-unes des phrases collector que j’entendais, par exemple, tandis que je me rendais au frigo pour piocher une Heineken (j’avais commencé par une très à la mode IPA, mais j’ai toujours trouvé ça dégueulasse, ça vous pèse sur l’estomac comme un repas, vertus nutritives en moins), cette exclamation sans contexte, fleurant l’indignation tout terrain : « C’est la société ! » Eh oui, elle a bon dos, mettez-y tout ! Ou cet enthousiasme soudain, et surjoué, parce qu’il ne suffit pas de raconter n’importe quoi, il faut encore y croire pour s’éclater : « La vallée de la Haute-Loire, c’est mortel ! », ce à quoi, ça tombait bien, l’interlocuteur concerné répondit, ravi de l’aubaine : « Je viens de là-bas ! » — c’est-y pas miraculeux les coïncidences, et voilà qu’on pouvait se vautrer dans la vallée de la Haute-Loire pendant des heures, quelle bonheur… Et ce type, pas vu depuis dix ans peut-être, costard de VRP haut de gamme, la gueule bien bouffie depuis le temps, avec son haleine écœurante — sans doute due à l’ingestion goulue de biscuits apéritifs — qui formait comme un halo fétide autour de lui ; je m’écartais d’un pas et je respirais mieux, ça sentait frais comme si j’avais ouvert une fenêtre, mais dans son orbite, rien à faire, à chaque fois que je le croisais, il trimbalait sa vieille couche d’ozone avec lui. Il y avait là des vieux de la vieille, des quadras célibataires sans enfant et teufeurs invétérés par-dessus le marché ; ça causait platines, « 135 BPM » par-ci, « Roni Size » par-là (au moins la musique était bonne, même si mon vieux copain dont c’était l’anniversaire, devenu respectable par la force des choses, s’inquiétait du volume sonore pour ses voisins), et ce spécimen qui se mit de but en blanc à me raconter ses années d’études — et après tout pourquoi pas, il faut bien commencer quelque part pour refaire connaissance, tant qu’à faire il aurait même pu revenir sur ses années collège, ou sur ses jeux d’enfance, ou carrément remonter jusqu’au big bang : sa mise bas — comme quoi on savait faire la fête à l’époque, on était des déglingos (il n’a pas recouru à ce terme, mais c’est celui qui me semble le mieux synthétiser son argument), alors que les jeunes d’aujourd’hui (oui oui, véridique, discours prémédité ou non il en est venu à me le tenir), toujours la tête dans leur téléphone, sont beaucoup plus sages que nous ne l’étions, ce sur quoi j’essayai de lui faire relativiser un peu son biais de comptoir — mais comprenant tout de travers, il a cru que je le mettais en garde contre le délit d’opinion réac’ — biais essentiellement lié, comme je l’ai compris ensuite, à la fierté qu’il tirait d’être encore et toujours le déglingo d’alors, capable encore et toujours d’en remontrer aux jeunes rabat-joie d’aujourd’hui, puisqu’il a poursuivi sur le thème de ses afters délurés, non pas ses afters étudiants d’hier, mais ceux d’aujourd’hui même, ses afters de quadra célibataire sans enfant teufeur invétéré, et il en parlait d’un « nous » englobant également ses interlocuteurs, dont moi, comme si j’étais forcément comme lui un ambassadeur de ce mode de vie et de cette vision des choses, alors que pas du tout ; à moi qu’on pourrait désormais sociologiquement ranger parmi les pères de famille à peu près rangés (allez, il m’arrive bien de prendre une petite cuite de temps à autre), qui n’ai pas pratiqué d’after depuis bien dix ans (comme je n’ai pas le décompte exact des années, je vous en mets dix, c’est une façon de parler), la vie de rêve qu’il me dépeignait, sa vida loca consistant à crécher dans une piaule de trente mètres carrés à la Goutte d’Or, de rentrer de teuf chez soi défoncé à la coke et au MDMA chaque dimanche matin à l’aube, avec quelques compagnons d’infortune ramassés au hasard de ses tribulations nocturnes, pour que tout ce petit monde se finisse ensemble jusqu’au bout de la descente (horaire d’atterrissage variable en fonction des possibilités d’approvisionnement), à moi son rêve me faisait l’effet d’un cauchemar, d’une version cauchemardesque de l’éternel retour, je crois que j’aime encore mieux changer des couches, me suis-je dit, mais lui trouve ça génial la transe régressive à vie, après quoi j’ai plus ou moins mis un terme à cette conversation sans queue ni tête, je suis allé voir ailleurs si j’y étais, puis en proie à une légère défaillance à cause des substances récréatives (mais douces !) dont je n’ai plus l’habitude, je me suis engouffré toutes affaires cessantes dans un VTC Uber où je fus accueilli sur un vieux tube sirupeux de Phil Collins (In the Air Tonight, en l’occurrence) qui m’a fait l’effet d’un calvaire interminable, comme si la chanson durait une demi-heure.

Anniversaire

Last modified: 12 août 2022