L’été mondain 1 : Le mariage

À la recherche d'une forme

9 août 2022

30/07/22

Trop fatigué pour écrire et/ou pas la temps et/ou pas la solitude qu’il y faut. De l’envie, des idées pourtant, mais laissées au milieu du gué, vouées au rebut. Les occasions d’y revenir se dérobent, je traîne les pieds puis je baisse les bras, j’aime encore mieux lire quand me laissent un peu de répit repas, vaisselle, machines, activités, logistique — paternité. Drôle d’été.

Par exemple, ce mariage, samedi 9 juillet, cinq jours avant la grande arrivée. J’ai commencé un récit, tout à fait mon genre, verve et parodie, et puis flemme : passe le temps, les idées se dissolvent, tout est trop long à raconter pour moi qui ne peux m’empêcher de déployer mes histoires. Combien de petites phrases saisies sur le vif pourtant, hélas perdues depuis, de celles qui me font rire et suffiraient, enfilées nature, à croquer le moment, quand par exemple une rumeur enfle parmi les invités, comme une fièvre qui monte, on se passe le mot à propos du dernier modèle de petit four qui vient de débarquer — « tu as goûté les bouchées de foie gras enrobées de chocolat ? » — et tout le monde de se précipiter au trot, en essaim, vers le buffet, content. (Je devrais les noter ces phrases, mais alors on ne vit plus l’événement, ou l’on ne le vit plus que pour l’écrire, et le projet même d’écrire n’en devient-il pas suspect, comme un crime maniaquement prémédité ?) Ou le photographe, qui s’ingénie à prendre toutes les photos de groupe possibles, c’est-à-dire à former l’exhaustivité des combinaisons de k éléments envisageables parmi n participants (pour k compris entre 2 et n puisque par principe les mariés sont dans le cadre), ajoutant puis retranchant puis adjoignant puis disjoignant puis permutant les grands-parents, les tantes à chapeaux, les cousins, les copains, et tous les autres sous-ensembles, doublant, triplant même chaque photo en nous enjoignant de regarder l’objectif, puis la mariée, puis le marié regardant la mariée etc. Ou le DJ ventru, boule redondante à zéro — sans les facettes — ambianceur attitré peut-être de quelque Macumba des environs, qui n’avait pas lancé Mylène Farmer depuis 30 secondes que le photographe, encore lui, était déjà accroupi au milieu de la piste à mitrailler les danseurs intrépides inaugurant mollement le bal, glamours comme une troupe d’oies. Et le regard médusé de mon fils, quatre ans et demi, devant son premier spectacle d’adultes se trémoussant sans trop y croire ou s’y croyant trop, ça dépend qui, dissimulant leur congestion dans l’intervalle obscur des stroboscopes ; ça l’a scotché une bonne demi-heure… Sur le coup me venaient des sarcasmes, de quoi faire rire sans doute, mais ce n’était plus comme avant, quand j’étais jeune, à fleur de peau et que partout je décelais l’hypocrisie, l’inauthenticité, l’insincérité (il faut dire que je déteste les mariages, j’y suis aussi à l’aise qu’une otarie à un séminaire d’experts-comptables, et que, entre vingt-cinq et trente ans, j’ai assisté à beaucoup de mariages, bien malgré moi, détestant ça chaque fois un peu plus) là où il n’y a peut-être que force de l’habitude et conformisme : au fond les gens ne sont qu’à moitié dupes du toc et du kitsch de ce protocole usé jusqu’à la corde, de cette sacralité faite de bric et de broc, flétrie jusqu’à l’insignifiance ; indulgents, ils jouent le jeu et passent le temps, font bienveillamment acte de présence. Moi-même j’ai pris plaisir à revoir mes vieux copains et puis, pour une fois, j’étais assis à la table des mariés (regardant le plan de tables, je cherchais mon nom partout ailleurs, mais non, cette fois j’y étais !), ce qui ne m’a certes pas délivré de l’ennui, ni empêché d’ignorer superbement mon voisin de gauche, que je ne connaissais pas ; je n’allais tout de même pas lui demander ce qu’il faisait dans la vie ! Mais voyez comme on vieillit : magnanime, je ne m’attarderai pas sur les discours prononcés entre les plats… (oh le pataud lyrisme que ses ailes d’autruche clouent au sol !) Quant à nous, la vieille bande éparpillée par les bifurcations de la vie, un peu venus les mains dans les poches de nos costumes tout de même dépoussiérés pour l’occasion, nous n’avions rien préparé pour le marié dont la mère a justement demandé au meilleur d’entre nous ce que nous avions préparé, s’imaginant peut-être quelque discours poignant, avec néanmoins ce qu’il faut d’humour bien senti, et pourquoi pas même des rebondissements, et du suspense ; et donc, n’ayant pas le cœur de décevoir cette bien légitime attente, mais abandonnant rapidement la première idée qui nous est venue, consistant à improviser tour à tour quelques croustillantes anecdotes de jeunesse — lesquelles d’abord n’étaient vraiment pas racontables devant si chaste audience, et puis deuxièmement ces choses se préparent, sans quoi c’est le bide en public assuré — les bonnes âmes parmi nous (aidées de leurs bénévoles épouses) se sont dévouées pour griffonner sur un coin de table des paroles alternatives à l’hymne de notre bande, en l’occurrence Billy le Bordelais de Joe Dassin, paroles alternatives que j’aurais jugées consternantes en tout autre occasion mais que, compte tenu de l’urgence, de l’impasse et du fait que le ridicule comme on sait n’a jamais tué personne, je jugeais tout à fait passables quand on me demanda, en vertu de l’expertise qu’on me prête apparemment en ces matières — merci bien —, si elles tenaient à peu près la route… J’avais trop peur surtout qu’on me charge de retravailler le machin ! (Même si, quelque peu culpabilisé par notre manquement, j’ai comme échafaudé secrètement pendant le repas l’idée d’improviser un speech liminaire, j’en ai même élaboré la trame dans ma tête, entretenant presque sérieusement l’intention, et sécrétant l’adrénaline subséquente, de me jeter à l’eau le moment venu, et puis finalement non, le meilleur d’entre nous s’y est collé, et a fait ça bien mieux que moi). Il paraît que notre chœur d’hommes quadragénaires n’a pas trop mal rendu, d’autant mieux qu’on n’a pas compris grand-chose aux paroles qu’on a chantées…

Last modified: 9 août 2022