Out of office

À la recherche d'une forme

23 décembre 2022

23/12/22

La tendance en matière de réponse automatique aux e-mails professionnels quand on part en vacances, c’est de ne surtout pas avouer dans le texte, même sous la torture, qu’on est justement « en congés », mot coupable à proscrire car laissant entendre, horresco referens, qu’on espère bien se la couler douce, aussi peu doux que soit par ailleurs dans les faits le fleuve intranquille, sans repos, et pour tout dire franchement tumultueux — il nous coule plus qu’on ne s’y coule — des vacances scolaires en famille ; non, le folklore corporate a préféré forger pour cette occasion particulière une formule absolument neutre, inattaquable, une convention minimaliste coupant court à toute interprétation, du moins théoriquement car en pratique personne n’est dupe, on préférera en tout cas écrire qu’on est « absent du bureau », « out of office » pour les plus internationaux et « OOO » pour l’élite des initiés, ce qui n’est pas, à l’ère de l’essor du télétravail, sans susciter d’ambigüités collatérales, puisque les jours où l’on télé-travaille, on n’est pas non plus présent physiquement au bureau, mais on ne se sent pas pour autant tenu de le signaler noir sur blanc dans toutes les communications dont on arrose collaborateurs et clients, du style « Bonjour, je vous écris présentement depuis le salon de mon appartement, veuillez trouver ci-joint un draft du kick-off pour l’on-boarding, belle journée », on se garde même bien de le préciser, qu’on est planqué chez soi en survêt’ plutôt qu’en première ligne au bureau, et dans ce sens finalement c’est cohérent, car de même que les gens n’ont pas à savoir qu’on est en vacances quand il leur suffit de savoir qu’on est absent du bureau, ils n’ont pas non plus à savoir qu’on est en survêt’ chez soi quand il leur suffit de savoir, par défaut, qu’on n’est pas absent du bureau, la présence au bureau figurant simplement là, par synecdoque interposée, les heures ouvrables, et non pas la présence palpable et irréfragable du corps du salarié — fût-il ailleurs en esprit, c’est un autre sujet — au sein des locaux de l’entreprise qui l’emploie.

Le malheur, c’est que lorsqu’on reçoit un e-mail automatique « out of office », malgré les efforts déployés pour nous convaincre du contraire, on en déduit tout de suite que l’émetteur est en congés ; aussi prôné-je d’allonger un peu la formule pour entretenir au moins le doute.

« Je suis actuellement absent du bureau, mais n’allez pas croire que je me la coule douce en vacances : peut-être bien que oui peut-être bien que non. Qui vous dit que je ne suis pas plutôt à l’enterrement d’une vieille tante, ou sorti m’acheter des cigarettes (avec ou sans l’intention de revenir), ou coincé au beau milieu d’une prise d’otage (ce qui n’exclut pas la possibilité que le preneur d’otages, ce soit moi), ou tout simplement déjà mort (auquel cas, navré, mais votre dossier urgent va devoir attendre…) ? Et qui vous dit que, si je suis déjà mort, c’est n’est pas des suites des céphalées qu’occasionnent au niveau de mon lobe frontal vos sollicitations intempestives ? »

Office

Last modified: 25 janvier 2023