Imaginer le pire

À la recherche d'une forme

29 août 2024

Chronique phénoménologique d'une crise aiguë d'hypocondrie (6)

La persistance de la douleur m’a bien forcé à réagir. J’ai préféré ne pas envisager tout de suite le vilain mot de « blessure » — au sens d’un endommagement durable qui d’abord ne se remettrait pas de lui-même, qui oblitérerait ensuite ma capacité d’agir, mettrait surtout mon intégrité physique, ma santé donc, en péril, non sans un risque qui plus est d’aggravation — mais plutôt quelque déséquilibre superficiel, quelque nerf malencontreusement tourmenté, quelque muscle à la fibre un peu tiraillée, et j’ai volontiers cru qu’y suffirait un bon massage, ou du moins une rapide remise en ordre manuelle, attitude où entrait une bonne part de déni et qui me conduisit en premier lieu chez l’ostéopathe que m’avait recommandé ma compagne, bien plus au fait de ces matières que moi, soit un type de médecine alternatif, comme on dit, et controversé, à propos duquel je n’ai ni connaissances ni donc d’avis, qu’il s’agisse d’en chanter les miraculeux mérites ou de hurler au charlatanisme crapuleux.

Ce que je redoutais de la médecine officielle, c’étaient son approche froide et mécanique, ses diagnostics de mauvais augure et ses condamnations sans appel, ses batteries d’examens angoissants et leurs résultats indéchiffrables, accessibles aux seuls oracles assermentés, sa médicamentation forcenée et son interventionnisme chirurgical ; selon le scénario catastrophe que parfois j’invoquai comme pour me faire peur — mais évaluer une situation, n’est-ce pas aussi imaginer le pire ? — on me charcutait sous anesthésie puis j’étais cloué de longues semaines au lit revêche d’un maudit hôpital avant le chemin de croix de la rééducation, avec toutes ses contraintes et ses rechutes. Moins excessif et plus lucide, rôdait aussi dans mes pensées le spectre un peu mythique de LA blessure que je souhaitais surtout ne pas m’être faite, et qui était pourtant à ma connaissance, force m’était de l’admettre, celle dont les symptômes s’apparentaient le mieux à mon mal : je veux parler de la tendinite. Parce qu’on la dit, dans sa version chronique du moins, sans réelle guérison possible, ou en tout cas presque rédhibitoire pour la pratique de certains sports, notamment mon favori, auquel je tiens tout particulièrement pour ses bienfaits à mon égard aussi bien physiologiques que moraux : la natation.

Lire la suite

Imaginer

Last modified: 31 août 2024