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Vertigineuse débandade
Lire l’épisode précédent : où l’on commence à s’aventurer en terrain économique
Sans entrer dans le détail, fut mis en œuvre un programme de planification socialiste au fond assez classique (nationalisations massives visant notamment l’industrie minière largement aux mains d’entreprises étrangères, réforme agraire au pas de charge avec son lot d’expropriations de grands propriétaires, stimulation de la demande par la dépense publique et l’augmentation des salaires, contrôle des prix et création monétaire) qui, après une courte vague d’euphorie, s’est rapidement traduit par une vertigineuse débandade : croissance négative, inflation galopante, balance commerciale dans le rouge, pénurie et explosion du marché noir.
Continue ReadingMalléable comme la pâte, aussi enragé qu’un sans-culotte
Lire l’épisode précédent : où un semblant de problématique est posé.
Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, du fait des grands voyages de ma jeunesse en Amérique du Sud, ainsi que des fortes sensations et des liens affectifs qu’avait occasionnés chez moi, à l’âge où l’on peut être à la fois malléable comme la pâte et aussi enragé qu’un sans-culotte, l’immersion complète dans un contexte socio-culturel exotique, à savoir celui des hauts plateaux andins, le mandat tragiquement abrégé de Salvador Allende a persisté dans mon imaginaire personnel comme mythe d’une utopie socialiste qui, si elle n’avait été réprimée par les forces obscures du Kapital, aurait enfin actualisé avec succès le rêve d’une révolution démocratique (bien sûr, on me dira, et sans doute avec raison, que c’est un penchant banal : le Chili d’Allende, c’est, un peu comme l’épopée de Che Guevara, le bréviaire du gauchiste vingtenaire — la dérive sanguinaire en moins… mais j’avais au moins pour moi de m’être attaché sur place, soit en meilleure connaissance de cause, à cette tradition mémorielle).
Continue ReadingL’insensée marche du monde
Lire l’épisode précédent : où l’on commence à se harnacher
Culte de la performance, course destructrice à la rentabilité, saucissonnage abstrait du vivant mis sous la coupe réglée d’une data invasive qui fait de l’homme une vulgaire variable d’ajustement : comment ne pas voir que la primauté du chiffre nous dérègle à des profondeurs anthropologiques, et à une cadence infernale, s’égosille à s’en étouffer l’écrivain bravant seul (du moins s’en convainc-t-il) l’insensée marche du monde ; mais tout à sa soif échevelée d’authenticité, fustigeant la marchandise, le capital, l’aliénation, n’est-il pas pris au piège le plus terrible, peut-être, pour lui : celui du poncif, du cliché, de la scie ? Ne joue-t-il pas un peu trop bien sa partition, au point même que c’en devient suspect ?
Continue ReadingCourir au lieu de marcher
Lire l’épisode précédent : où l’on se met doucement en jambes.
Il est de bon ton en effet, et facile, et mérité peut-être, et drôle aussi sans doute quand c’est bien senti, de railler le sadomasochisme des joggeurs urbains qui serrent les dents, ahanent, suent et blêmissent en trottinant d’une foulée souvent lourdaude sur le bitume qui leur casse les chevilles et les genoux et les hanches, qui se harnachent de lycra, de gilets-sacs-à-dos en polyester, de gourdes ou pire, d’une poche à eau conférant à celle-ci un infâme goût de polyuréthane — du moins on suppose que c’est cet arôme paradoxal de croupissement aseptique qu’aurait, si on on mangeait, le polyuréthane dont sont apparemment faites les fameuses poches aussi appelées, je le découvre, vessies d’hydratation, ce qui ne les rend pas plus glamours —, de baskets hors de prix, tout un équipement de compét’ pour trimballer laborieusement leur carcasse endolorie par tous les trottoirs de la ville, tout en noyant leur souffle déjà trop court, et qui n’avait pas besoin de ça, sous les émanations toxiques des hydrocarbures.
Continue ReadingComme le nez au milieu de la figure
Entrée en matière : ce texte est le premier d’une série de réflexions bric-à-brac à visée polémique qui me turlupinent depuis longtemps, dont on pourra trouver une sorte d’avant-goût dans les quatre textes que j’ai publiés à l’automne dernier sous le tag “Avocat du diable” — tag qui sera repris pour les textes à venir, agrémenté cette fois d’une numérotation, car il s’agira bien d’un tout dont il faudra lire successivement chaque partie pour ne pas perdre le fil, chose que j’en suis bien convaincu personne ne fera, puisque généralement personne (ou presque) ne me lit. Il y sera question de tout et n’importe quoi : de course à pied et de statistiques, d’inflation et de systèmes de retraite, d’Allende et de l’école de Chicago, des missions jésuites du Paraguay, d’avant-garde et de conformisme, et bien sûr : de littérature.
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