Avocat du diable Tag Archive

Un exercice contrefactuel instructif

Avocat du diable 12

Lire l’épisode précédent : où l’on s’aventure sur un terrain peu familier

C’est amusant parce que, toujours à propos de cette histoire de retraite par capitalisation — tant qu’on y est ! — un économiste notoirement libéral mais peu suspect de malhonnêteté intellectuelle, Sylvain Catherine, s’est livré à un exercice contrefactuel instructif : imaginons qu’un salarié, ayant commencé à travailler en 1982 et payé au SMIC tout au long de sa carrière, ait investi chaque mois 10% de son salaire brut dans le CAC40. À l’aide d’un calcul rétrospectif tenant compte de l’inflation et de la rentabilité actuarielle historique de l’indice, Sylvain Catherine démontre que notre smicard aurait accumulé pour sa retraite un capital de 350 000€, convertible « en une rente viagère indexée sur l’inflation de 1 512 euros mensuels, soit 300 euros de plus que le montant prévu par le système par répartition existant, malgré un taux de cotisation plus de deux fois plus élevé. » Ces mêmes 10%, épargnés mensuellement au taux de rendement de la retraite par répartition, tel qu’estimé par le Conseil d’Orientation des Retraites pour la cohorte de 1960, vaudraient aujourd’hui 114 000€, soit trois fois moins. Et ce malgré les krachs boursiers de 1987, 2001, 2008 et 2020, qui fournissent habituellement leur argument massue aux opposants au système par capitalisation, choisissant d’ignorer qu’en tendance longue, le risque d’un tel placement est en réalité infinitésimal. Détracteurs qui, paradoxalement, ne ratent pas une occasion de reprocher aux actionnaires de s’en mettre plein les fouilles : il faudrait savoir !

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À la recherche d'une forme

16 mai 2025

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Quel fucking rapport avec la France ?

Avocat du diable 11

Lire l’épisode précédent : où l’on fait escale chez les jésuites au Paraguay

Sur le blog d’un autre confrère — puisque j’ai commencé à confraterniser ainsi avec les écrivains que j’évoque ici, pourquoi ne poursuivrais-je pas sur ma lancée ? —, talentueux diariste en ligne (entre autres — c’est en tout cas la facette de son oeuvre qu’il m’arrive de fréquenter) qui a le don d’accoler les uns à la suite des autres les menus faits et observations du quotidien en les présentant nus, épurés de tout contexte superflu, vus sous un éclairage oblique qui leur confère une couleur absurde et désenchantée, je vois évoqué le système de retraite par capitalisation du Pérou — oui oui, et voyez au passage comme cet exemple s’inscrit merveilleusement dans mon essai-feuilleton qui fait la part belle, du fait de mon idiosyncrasie, à l’histoire sud-américaine.

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À la recherche d'une forme

13 mai 2025

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Pour la plus grande gloire d’icelui

Avocat du diable 10

Lire l’épisode précédent : où l’on ne sait pas faire grand-chose de ses dix doigts

Pour conclure sur cette idée du vrai communisme qui n’a jamais été essayé, et puisqu’il serait trop facile de lui opposer comme d’habitude les désastres Mao et Staline, attardons-nous sur un épisode plus lointain et méconnu : les missions jésuites du Paraguay aux XVIIe et XVIIIe siècles. La puissante compagnie de Jésus avait réussi à créer une sorte d’enclave dans les colonies d’Amérique du Sud, soustrayant les indigènes guaranis à la mainmise esclavagiste des colons espagnols et portugais, obtenant même à cette fin la protection d’une ordonnance royale édictée à Valladolid en 1607.

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À la recherche d'une forme

21 avril 2025

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Le fantasme de délivrance

Avocat du diable 9

Lire l’épisode précédent : où l’on vous laisse à penser quel potage

Ici je dois à mon lecteur un mea culpa, car sur ce dernier portrait je force volontairement le trait ; on peut être décroissant sans revenir au tribalisme sauvage, comme maints mouvements autonomistes semblent l’illustrer avec plus ou moins de succès, zapatistes au Mexique, zadistes intermittents sous nos latitudes — encore que les baraquements crottés des zones humides ne fassent guère envie — ou tout simplement néo-ruraux s’organisant en communautés à taille humaine, vivant à l’écart du courant mainstream et faisant profession d’écologie radicale. Par rapport à l’esthète révolutionnaire post-moderne et petit-bourgeois qui psalmodie son Deleuze pour mieux renâcler au travail, ceux-ci ont au moins le mérite de ne pas prétendre s’affranchir des contraintes matérielles qui de la vie font une vallée de larmes, en les déléguant à des machines ou à des livreurs Uber eats : c’est que, si l’on veut s’émanciper du capitalisme, il faut tout à la fois construire et maintenir son habitat, pourvoir à son eau et à son combustible, tisser ses vêtements, nourrir ses animaux et cultiver sa parcelle, instruire ses enfants, et s’il reste un peu de temps à la fin du jour, débattre en assemblée des décisions qui engagent le collectif… Trois petites heures suffisent-elles à s’acquitter de tout cela ?

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À la recherche d'une forme

16 avril 2025

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Aquarelle et chasse aux papillons

Avocat du diable épisode 8

Lire l’épisode précédent : où l’on ne choisit pas ses exemples au hasard

J’ai lu il y a quelques temps sur le blog de l’un de ces estimés confrères — puis-je l’appeler confrère ? — une envolée à l’emporte-pièce du type — citation non exacte, c’est moi qui reformule approximativement de mémoire — « de toute façon tout le monde sait très bien qu’on pourrait tous se contenter de travailler trois heures par jour » — sous-entendu ça suffirait pour que tourne la boutique, ou le monde, ou la vie, s’il n’y avait pas cette satanée aliénation capitaliste, néolibérale, technofasciste (voilà une nomenclature récente qu’auront sans doute inspirée Musk et les autres magnats libertariens de la Silicon Valley), sous-entendu si le système ne nous forçait pas à nous tuer à la tâche pour engraisser quelques milliardaires — et peut-être sous-entendait-il aussi, mais je n’y mettrais pas ma main à couper, car dans un autre billet il vitupérait violemment l’intelligence artificielle, que toute corvée devrait déjà être prise en charge par des robots, ou plus vaguement par le progrès technologique ; en tout cas je me suis alors demandé si une énormité si puérilement désinvolte s’autorisait de quelque licence poétique ? Car une chose est sûre : rien de réel ne saurait la justifier.

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À la recherche d'une forme

11 avril 2025

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Mantras et hyperboles

Avocat du diable 7

Lire l’épisode précédent : où l’on n’aura nul besoin d’être un conséquentialiste forcené

Du fait de l’extrême perfectionnement de nos méthodes et de nos instruments de mesure, qu’il s’agisse de quantifier les phénomènes matériels ou sociaux, nous avons aujourd’hui à notre disposition des chiffres fiables à revendre. Je veux avant tout parler d’indicateurs simples dans leur principe de lecture, d’ordres de grandeur assez bruts et à la portée de l’homme de la rue, mis à sa disposition par des institutions publiques, et non pas de données ayant fait l’objet de retraitements et de pondérations sophistiquées (comme c’est le cas, à ce que j’ai compris, de l’estimation de la croissance des inégalités par Piketty, sujette à controverses), moins encore de modèles mathématiques savamment triturés à coups de tests d’inférence, de régressions polynomiales, d’arbres de décision, de réseaux bayésiens ou autres descentes de gradients, destinés à traquer, derrière le foisonnement stochastique du réel, les corrélations, causalités, régularités et probabilités qui permettront de prédire l’avenir ou de simuler l’agentivité ; modèles qui sont l’apanage de techniciens hautement spécialisés pouvant alors s’affronter dans d’interminables débats d’experts, inaccessibles au commun des mortels.

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À la recherche d'une forme

8 avril 2025

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Soumis à la loi des grands nombres

Avocat du diable 6

Lire l’épisode précédent : où l’on confesse un conflit de loyauté

Ce qui me reconduit à mon point de départ, qui est aussi l’autre raison de ma digression : la défense de ces fameux chiffres auxquels le poète reproche leur froide inhumanité. Au moment même où l’homme s’est livré corps et âme à la domination du chiffre, on dirait aussi que le chiffre, la statistique, c’est tout ce qui lui reste pour y voir clair, tant tout a pris des dimensions impénétrables à vue de nez : une sorte très paradoxale d’empirisme platonicien soumis à la loi des grands nombres — c’est dire si nous sommes dans de beaux draps ! Dans mon exemple du Chili d’Allende, comment ne pas s’interroger sur le bien-fondé d’un programme, aussi exaltant soit-il sur le papier, qui fait passer le taux d’inflation annuel de 30% à 600% en moins de trois ans, et comment ne pas douter de la validité de ses présupposés idéologiques ?

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À la recherche d'une forme

4 avril 2025

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Vertigineuse débandade

Avocat du diable 5

Lire l’épisode précédent : où l’on commence à s’aventurer en terrain économique

Sans entrer dans le détail, fut mis en œuvre un programme de planification socialiste au fond assez classique (nationalisations massives visant notamment l’industrie minière largement aux mains d’entreprises étrangères, réforme agraire au pas de charge avec son lot d’expropriations de grands propriétaires, stimulation de la demande par la dépense publique et l’augmentation des salaires, contrôle des prix et création monétaire) qui, après une courte vague d’euphorie, s’est rapidement traduit par une vertigineuse débandade : croissance négative, inflation galopante, balance commerciale dans le rouge, pénurie et explosion du marché noir.

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À la recherche d'une forme

1 avril 2025

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Malléable comme la pâte, aussi enragé qu’un sans-culotte

Avocat du diable 4

Lire l’épisode précédent : où un semblant de problématique est posé.

Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, du fait des grands voyages de ma jeunesse en Amérique du Sud, ainsi que des fortes sensations et des liens affectifs qu’avait occasionnés chez moi, à l’âge où l’on peut être à la fois malléable comme la pâte et aussi enragé qu’un sans-culotte, l’immersion complète dans un contexte socio-culturel exotique, à savoir celui des hauts plateaux andins, le mandat tragiquement abrégé de Salvador Allende a persisté dans mon imaginaire personnel comme mythe d’une utopie socialiste qui, si elle n’avait été réprimée par les forces obscures du Kapital, aurait enfin actualisé avec succès le rêve d’une révolution démocratique (bien sûr, on me dira, et sans doute avec raison, que c’est un penchant banal : le Chili d’Allende, c’est, un peu comme l’épopée de Che Guevara, le bréviaire du gauchiste vingtenaire — la dérive sanguinaire en moins… mais j’avais au moins pour moi de m’être attaché sur place, soit en meilleure connaissance de cause, à cette tradition mémorielle).

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À la recherche d'une forme

27 mars 2025

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L’insensée marche du monde

Avocat du diable 3

Lire l’épisode précédent : où l’on commence à se harnacher

Culte de la performance, course destructrice à la rentabilité, saucissonnage abstrait du vivant mis sous la coupe réglée d’une data invasive qui fait de l’homme une vulgaire variable d’ajustement : comment ne pas voir que la primauté du chiffre nous dérègle à des profondeurs anthropologiques, et à une cadence infernale, s’égosille à s’en étouffer l’écrivain bravant seul (du moins s’en convainc-t-il) l’insensée marche du monde ; mais tout à sa soif échevelée d’authenticité, fustigeant la marchandise, le capital, l’aliénation, n’est-il pas pris au piège le plus terrible, peut-être, pour lui : celui du poncif, du cliché, de la scie ? Ne joue-t-il pas un peu trop bien sa partition, au point même que c’en devient suspect ?

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À la recherche d'une forme

26 mars 2025

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