Récemment les chiffonniers du web se sont écharpés autour du dernier mot d’ordre à la mode — « Comment faire pour que les hommes cessent de violer ? » — relayé par les militants habituels.
Au point que certains d’entre eux virent leurs comptes suspendus par Twitter, ce qui permit de faire monter la sauce, puisqu’il s’agissait forcément là d’un cas patent de censure patriarcale. Leurs opposants y allèrent aussi de leur petite rengaine — #NotAllMen — fournissant d’eux-mêmes la preuve irréfutable, aux yeux des féministes, de la « fragilité » masculine, l’un parmi tant d’autres concepts hautement scientifiques de la sociologie contemporaine. Twitter finit par se rétracter, prétextant une erreur. Bref, la routine des flux publics d’opinions privées…
Sous la question rhétorique « Comment faire pour que les hommes cessent de violer ? », on devine l’assertion selon laquelle « les hommes ne cessent pas de violer », que je remets volontairement sur ses pieds dans un souci de clarté : « Les hommes violent. » (Certes, il y a une nuance entre « faire » et « ne pas cesser de faire », mais qui en l’occurrence importe peu.)
« Les hommes violent », donc.
La faiblesse d’une telle assertion, c’est que, si elle n’est pas fausse (puisque, en effet, des hommes violent), elle n’est pas vraie non plus (car des hommes ne violent pas).
Or, d’un point de vue logique, si je lui applique la distinction élémentaire élucidée par Wittgenstein, cette proposition n’étant ni vraie ni fausse, elle est tout bonnement dépourvue de sens. On voit à peu près ce qu’elle cherche à exprimer, mais le fait qui lui correspond (ou qui la nie) n’existe pas : on ne peut donc absolument rien en dire.
On voudra peut-être m’objecter que recourir à Wittgenstein dans ce cas de figure revient à tuer une mouche au bazooka. Car tout le monde sait bien que l’article indéfini, par nature, désigne une catégorie générale, ce qui empêche certaines nuances, certes, mais pas de saisir l’idée. Peu importe que l’assertion soit exacte, il faut que le message passe, et à cette fin, on ne rechigne pas aux formules choc.
Ici, l’outil logique a le mérite de surmonter l’ambiguïté de la formule sans qu’on ait à prendre part à la mêlée du « pour ou contre ». Je ne suis ni pour ni contre cette assertion, je dis juste qu’elle est idiote, résultant d’une induction abusive : le viol constitue un fait social majoritairement masculin, donc « les hommes violent ».
On ne reprocherait pas aux militants la légèreté d’une telle « montée en généralité » s’ils ne se prévalaient dans le même temps, sur tous les tons, de l’autorité que confère la démarche scientifique, empiriquement fondée. C’est tout le problème d’une certaine sociologie : prétendre à l’objectivité tout en s’adonnant à la propagande.
Que vaut une science qui aboutit à des énoncés dépourvus de sens ?
Last modified: 5 juin 2021