Ceci n’est pas un journal, et j’envisage plusieurs moyens d’y parvenir. Un contre-journal d’abord, non pas contre le journal en général comme genre — pirouette par trop paresseuse, à peine une galipette — mais contre le mien en particulier, sous la forme d’un droit de réponse hostile à ma version des faits, un arsenal d’objections au libre cours de ma subjectivité, un réquisitoire implacable auquel contribueraient non seulement l’inconnu croisant avec moi le fer à l’improviste — j’aurais beau jurer que ce chauffard n’a pas marqué le stop, il irait raconter partout que j’ai grillé un feu —, l’ami perdu s’adjugeant le beau rôle dans nos vieilles brouilles, ma mère à qui je n’ai pas téléphoné depuis au moins trois semaines et ma compagne qui, au train quotidien où elle les fréquente, a la primeur autant que l’endurance de mes travers ; non seulement donc mes connaissances et mon entourage, ma famille et mon foyer, mais aussi toutes les synthèses exaspérées par ma vindicte littéraire, le Capital, la Bureaucratie, les Médias et la Technique, la Société entière venue témoigner à charge de ma coopération coupable avec son système.
(Parmi les entités abstraites vouées par mes soins aux gémonies, notons pour mon réconfort que l’industrie de l’édition — cette vieille ambulance sur qui l’on ne gagne certes pas grand-chose à tirer —, faute d’argument valable, n’aurait pas son mot à dire : avec elle je suis positivement certain de ne m’être jamais compromis !)
Résisterais-je alors à la tentation de me jeter à corps perdu dans cette gigantomachie, de contester une par une, mordicus, en long en large et en travers, avec force développements, codicilles et alinéas, les doléances soulevées à mon encontre, résisterais-je seulement à la tentation de justifier, en somme, de chaque insignifiant détail de ma vie au sein d’un contre-contre-journal, mille fois donc plus circonstancié que ne l’aurait été un simple et inoffensif journal ? Damned, encore raté !
Last modified: 17 novembre 2021