Combat Non garanti sans mauvaise foi
Omni-maléficience du Capital
Renouer avec une éthique (une esthétique donc, voire une hygiène) du pamphlet. Reprenons. Je ne suis pas devenu réformiste, mais plutôt schizophrène (métaphoriquement, s’entend). D’un côté il y a la littérature. Chez l’écrivain sans débouché (mais aussi chez celui avec, bien souvent), c’est gauchisme obligatoire (j’en viens moi-même, et même et surtout j’en reviens). Même celui qui prend ses distances avec le gauchisme ne le fait qu’à demi-mot, entre des pincettes toutes délicates, son bréviaire bourdieusant calé au creux de l’aisselle. Il est de bon ton d’abord d’exiger que toute dimension de l’existence soit couverte par son service public ad hoc, d’en vouloir mettre toujours plus et partout, de bien colmater toute brèche à l’aide de cette increvable panacée, revendiquant pour les créatures souffreteuses que nous sommes une indispensable prise en charge, depuis les langes jusqu’au cercueil, par toutes sortes de guichets caritatifs, dévoués à toutes nos jérémiades et qui, comme sur les tapis roulants d’une chaîne de montage, nous assemblent triturent et malaxent, nous emmaillotent fermement dans leur coton paralytique, postent deux ou trois fonctionnaires derrière chaque citoyen pour lui gratter le dos et s’assurer qu’il procède à ses ablutions dans les règles (ablutions qu’il conviendra de déclarer préalablement en préfecture non sans s’être acquitté au passage des diverses dimes et gabelles afférentes). Il faut aussi religieusement s’indigner qu’explosent (BOUM !) les inégalités — par rapport au Moyen-Âge, à l’Antiquité, la Mésopotamie ? Ne poussons tout de même pas trop loin le bouchon de la comparaison, sauf si bien sûr l’on souhaite plutôt se réjouir que diminue la criminalité ! —, qu’importent les mille réfutations possibles du filet d’eau tiède qui continûment s’écoule du lucratif robinet pikettien puisque seul le credo fait foi ; et si par malheur des chiffres bien tournés nous forcent d’admettre que peut-être la situation a pu s’améliorer sous tel angle quelque part, il suffira de déplorer qu’elle empire sous tel autre ailleurs, l’effet papillon inhérent à l’omni-maléficience du Capital stipulant bien qu’à la minute où j’achète une paire de baskets à mon fils chez Décathlon s’enclenche une imparable chaîne de conséquences et de causes en cascade menant à une famine en Haïti, une sécheresse au Soudan et une guerre civile au Congo. On aura toujours soin d’accabler, sans pouvoir précisément la définir, la nébuleuse du néolibéralisme : est-il pourtant interdit de penser que ce que l’on range sous ce vocable devenu un tantinet ringard, si toutefois l’on entend par là les concessions de prérogatives dévolues par l’État au secteur privé, est au mieux une sorte d’extension new age du domaine du socialisme ? Il faut sanctifier enfin la figure de l’immigré clandestin, jusqu’en ses déclinaisons les moins amènes, et gare aux élans compassionnels mal placés : insinuer que le meurtre d’une jeune fille eût pu être évité par simple application du droit vous vaudra d’être renvoyé manu militari vers la case « fasciste », cet attribut désormais si généreusement bradé qu’on devrait peut-être même dédier, justement, un service public à sa distribution.
Continue ReadingOuverture pour cent cinquante chapeaux-chinois
En quête d’une nouvelle voie d’appréhension critique du genre de régime, ou de système, sous la férule duquel nous vivons — du monde en somme — sans céder à l’antienne obligatoire qu’ânonne tout littéraire qui se respecte, ce déshérité revanchard : l’ogre capitalisme, cristal de tous les maux, principe névralgique d’où sont irriguées toutes les ramifications du vice. Commode cause dernière, mais comment s’extirper du mot qui seul suffit à décliner l’infini des préjudices, si nul n’échappe à sa logique, hormis le zadiste, l’autosuffisant, le Thoreau dans ses bois ? Toute marge annexée aussitôt qu’elle émerge, absorbée, digérée, fructifiée par les marchands, ainsi qu’ont dit Deleuze et Guattari, à moins que ce ne fût Baudrillard, à moins que ce ne fût Debord, à moins que ce ne fût l’École de Francfort, à moins que maints autres, ne serait-ce que Marx, bien sûr, déjà ? Qui nous fera voir ce problème sous un angle neuf ? (Ceci est une manière de préambule à d’autres réflexions : j’y reviendrai plus tard)
Continue ReadingLes livres ardus et les initiés contents de soi
Cette émission, bien que son animatrice fût horripilante, et son invitée réputée avoir, selon Wikipédia, participé à une « opération de Brand content par laquelle la maison Gallimard s’associe à Dior pour célébrer le sac Lady », ce qui devrait être à peu près passible de disgrâce sans recours, cette émission pourtant, que j’écoutai d’une oreille en mettant à jour des reportings, n’était pas inintéressante, malgré son lot d’idées convenues. Sous un titre gentiment racoleur, il était question de l’« illisibilité », réelle ou supposée, d’Ulysse en particulier, et des « romans monstre » en général, ou bien plutôt — et c’était l’intérêt, qu’on a par ailleurs le droit de trouver faible, de l’émission — des différentes manières de lire (gravir) ces livres hors-norme, non destinés au tout-venant mais plutôt aux écrivains eux-mêmes, ou à tout le moins à la minorité des lecteurs les plus éclairés : d’une traite en marathonien, partiellement ou bout à bout, en picorant des morceaux choisis, au hasard dans le désordre, au rythme d’une page par jour pendant dix ans etc. La preuve, loin de m’encourager à refermer les livres ardus dès le premier embarras (il faut dire que je ne suis pas trop ce genre de lecteur, plutôt du genre à finir coûte que coûte, parfois même quand je ferais mieux de m’arrêter), ça m’a donné envie de lire Ulysse plus tôt que prévu dans mon planning, c’est vous dire, à moi qui suis ouvertement critique de la pâmoison obligatoire, la déférence automatique dont cette œuvre fait l’objet de la part de l’avant-garde autorisée, ça m’a donné envie au point que j’ai failli me rendre en librairie dès la pause déjeuner qui s’ensuivit, avançant ainsi de nombreuses années mon projet de ne lire Ulysse qu’une fois à la retraite — c’est en effet je ce que j’envisageais jusque-là : ça fait longtemps que j’ai envie de le lire, mais aussi tout mon temps pour le faire, si tant est que Dieu me prête vie d’ici là. Et tels les derniers des trolls, ou les premiers d’ailleurs je ne sais pas, sous l’empire en tout cas du même genre de coup de sang grossier, quelques tenants de l’élite artistique, d’ordinaire docteurs en irrévérence mais juchés cette fois sur leur catéchisme, se sont empressés de dénigrer l’émission sur Twitter, fustigeant qu’on ne se prosternât pas devant le vénérable monument, comme untel qui dit en substance, d’une sentence un peu pataude mais qu’il trouva sans doute aérienne, que si t’es pas cap’ de lire Ulysse en entier, t’es rien qu’un gros con (c’est moi qui traduis), ou encore, cet écrivain-traducteur-éditeur très prolifique (se relit-il beaucoup ?) et très geignard, vedette de la corporation, qui établit un parallèle entre l’angle choisi et les chiffres record des vente de Musso, comme si la proposition « lire Musso » équivalait, eu égard à ce qu’elle révélait de son lecteur, à « ne pas finir Ulysse », d’après un type qui serait pourtant capable de soutenir en tout autre occasion que tout est littérature, ou que se moquer de qui ne finit pas un livre, c’est du vilain mépris de classe.
Continue ReadingAutour de chez moi, les travaux font rage
Autour de chez moi, les travaux font rage. Quand j’accompagne mon fils à l’école le matin, esquivant les trous béant le long de l’avenue désormais sans trottoir, étourdi par le raffut d’engins endiablés, j’ai l’impression de longer des tranchées — décor de guerre par temps de paix. Pour construire l’avenir, détruire surtout le présent. Ma ville n’est qu’un vaste chantier de démolition. Ces jours-ci, on détruit les rares maisons d’origine qui restaient encore debout au milieu du pâté de maison, dont le vis-à-vis nous procurait un dernier îlot de quiétude visuelle, et la nuisance sonore atteint son comble, au point que je travaille avec des boules Quies. Moi qui, réfugié chez moi deux jours par semaine en télétravail, espère ainsi échapper à l’agitation frénétique du bureau tout tendu vers l’objectif insensé de driver toujours plus de business, me voilà rattrapé par les bulldozers — littéraux cette fois — du progrès. Plus moyen d’échapper nulle part aux diverses machineries infernales — l’État, le Marché, l’Urbanisme — qui écrasent impunément l’individu, sous alibi démocratique. Les crétins contempteurs de l’abstention voudraient que je vote, mais quel vote a jamais empêché les promoteurs de faire table rase des arbres sous ma fenêtre ? J’ai parfois, bien malgré moi, des bouffées de haine contre toute cette hideur effrénée alentour, contre la loi d’airain de la croissance, j’ai des envies de meurtre, l’infâme édile local par exemple, avec quelle satisfaction je l’imagine pendu en place publique. Qu’ils ont dû jouir, au plus fort des soulèvements de la Révolution, de voir rouler toutes ces têtes dans le panier, de les mettre sur des piques : rien que pour ce défouloir, sûr que ça valait le coup.
Continue ReadingQue vaut une science aux énoncés dépourvus de sens ?
Récemment les chiffonniers du web se sont écharpés autour du dernier mot d’ordre à la mode — « Comment faire pour que les hommes cessent de violer ? » — relayé par les militants habituels.
Continue ReadingMisère de la critique promotionnelle
Quelle gradation subtile dans la nuance, quelles délices d’euphémismes, quels trésors de pudeur, quelles merveilles de retenue le critique ne déploie-t-il pas, pour éviter de dire en un mot qu’un livre est mauvais ; car s’il devait s’abstenir de le commenter, il ferait s’effondrer derrière lui toute la chaîne de valeur qui alimente justement l’expression de son expertise, et il en perdrait sa raison sociale. Remarquez qu’en bon fétichiste, il n’a pas à forcer sa nature : c’est l’objet pur de son fétiche qui l’anime, la Littérature en général, au-delà de ses manifestations particulières, sous toutes les formes qu’il voudra bien lui prêter pour peu qu’il puisse s’y mirer avantageusement tout en s’écoutant parler.
Bourre-pif
Je lis quelque part que les « formations à la création littéraire » en université constituent désormais un « marché très concurrentiel », inversement donc au marché du bon livre, où la concurrence est rabougrie : faut-il y voir la cause de l’effet ?
La langue bodybuildée
Mon côté trop terre à terre me fait répugner à l’usage des mots-slogans de la novlangue digitale qui pour moi ne veulent rien dire. Dire draft pour brouillon, ou même ébauche, et template pour modèle, voir du design, de la data et du creative partout, et mille autres exemples encore de simagrées qui infestent désormais la langue, tout cela revient à gonfler à l’hélium des idées plates, leur donner un tour bionique pour les rendre sur-signifiantes, porteuses d’une valeur ajoutée purement imaginaire, par là même inaccessible au non initié.
Découdre la langue
Est suspecte une maison d’édition qui convoque pour décrire sa ligne des géants par ailleurs tout à fait absents de son catalogue. L’une par exemple se réclame sans rire de Kafka, de Musil, de Gombrowicz, et même d’auteurs vivants, comme Chevillard, qu’elle ne publie pourtant pas. Comble du vice, elle glisse dans le tas les noms de quelques uns de ses poulains, comme on fourgue une vieille camelote sous emballage pimpant, ni vu ni connu j’t’embrouille.