Démunis, on s’en remit à la science qui saurait bien nous tirer d’affaires par un tour de passe-passe dont elle aurait le secret. Le profane se réveille un beau matin pour voir la nouvelle tomber du journal, et il est déjà prêt à faire la queue : on a breveté un vaccin, un traitement d’huiles essentielles, une combinaison en plexiglas (Hygiaphone en option) ; n’importe quoi, la bombe atomique s’il le faut, pourvu que tout redevienne comme avant.
L’horizon s’est empli de docteurs, plus moyen d’échapper au sermon d’Hippocrate — et moi qui pour avoir la paix avais justement opté pour un médecin traitant fumeur… La corporation tenait son heure et dépêcha dans la marmite ses meilleurs clients, melons pharaoniques, suppôts pharmaceutiques et autres diseurs de bonne aventure, leurs disputes colonisant les ondes, par capillarité les esprits ; et chacun de miser sur son canasson favori. On n’a plus parlé d’autre chose, si ce n’est de la canicule qui fut bien la seule à nous donner un peu d’air. Encore que : comme un fait exprès, je l’ai trouvée bien timide cette année. Ou peut-être n’avions-nous pas la tête à cela ?
On découvrit en tout cas la science en train de se faire. Tous les savants du monde s’emparèrent du même problème, du paléontologue à l’astronaute, du rebouteux au manager ; las, une particule virale qui se mesure en nanomètres, ça ne s’attrape pas comme ça. Nos cribles tamisaient trop large. Pourtant la recherche en surchauffe débitait des kilomètres d’études, instruisant le public sans médiation, lui soumettant directement, et toutes les cinq minutes, ses dernières conclusions, provisoirement définitives tant qu’on n’avait pas mieux sous la main, sans scrupule à se dédire plus tard, quant à savoir si tel anticorps du lama tiendrait ses promesses (ou était-ce un chameau ?), élucider le facteur aggravant chez le chromosome de Néandertal ou encore déterminer le modèle mathématique de la diffusion par éternuement, dans le métro à l’heure de pointe ; pour vous représenter la chose, il vous suffira de visualiser un strike au bowling, mais avec mille quilles — la rame entière. Le virus s’avéra tout et son contraire, yin autant que yang ; inoffensif et létal en même temps pour les plus jeunes, toujours manuporté mais transmis par aérosol exclusivement, à la fois cancer et gripette, qui vous violace le bout des orteils tout en vous boursouflant la langue, échappé d’un pangolin, d’un vison, d’un dodo de l’île Maurice ou d’un laboratoire secret.
Entre la poire et le fromage, le français moyen potassait son épidémiologie dans les meilleures revues internationales, et compulsait jusque tard dans la nuit les données publiques en ligne, armé de sa calculette. On l’invitait à se faire un avis et il n’allait pas se gêner ; la statistique poussait à ses pieds comme du chiendent. Ainsi surveillait-il assidument l’évolution des indicateurs de référence, taux de reproduction, d’incidence et de mortalité, pour les croiser quotidiennement avec les capacités de tests et les flux hospitaliers, gardant toujours un œil sur le stock de respirateurs artificiels. Il se tenait bien sûr à jour des récentes mutations du virus, s’enquérant de leur terrain d’émergence et de leur potentiel infectieux pour anticiper les dynamiques de circulation internationales. Tous éléments évidemment à rapprocher (sans quoi on aura sué pour rien) du contexte démographique — la pyramide des âges est-elle en pointe, en cloche ou en tire-bouchon ? — et de l’état de l’art en matière de transmission, phénomène insaisissable et multifactoriel, selon la densité d’occupation du lieu, le renouvellement de l’air, la qualité des masques, le climat et la luminosité, l’incubation des sujets contagieux, et bien-sûr la nature de la réunion, certaines activités favorisant nettement le tant redouté commerce des gouttelettes (on pense tout de suite au jeu de paume, ou au concours de glaviot). Notre français moyen pouvait aussi, s’il lui restait quelques minutes, mettre en équations les différents protocoles sanitaires envisageables, en vue de proposer de nouvelles options : on ralentirait drastiquement l’épidémie, par exemple, en bannissant les consonnes occlusives comme le t, le b ou le p qui, débouchées par nos soins, emportent avec elles les plus gros postillons. Cela revenait certes à grogner sans lèvres ni langue, comme des vieillards édentés, mais nous serions-nous plus mal compris pour autant ?
Bref, une fois seulement qu’il avait minutieusement recoupé la totalité des connaissances à peine acquises non seulement en médecine, en biologie et en mathématiques mais également en sciences humaines et sociales, fort enfin d’un savoir exhaustif et d’une vision d’ensemble, il pouvait assez naturellement et sereinement conclure, en toute rigueur, au complot maçonnique, impliquant très certainement des juifs, et pourquoi pas des aliens.
Last modified: 8 novembre 2021