À l’accrobranche de la forêt de Meudon, où j’ai emmené mon fils, ils nous ont donné à chacun, en cadeau, une graine de pin parasol, au motif que « sauvons la planète, plantons des arbres ! »
Au début, déconcerté, j’ai compris de travers. J’ai cru qu’il faudrait les planter-là, les graines, sur place, parmi le parcours même. Que ça faisait partie du jeu, que c’était compris dans le package. Comme si leur forêt manquait d’arbres, ce qu’on n’aurait pas dit de prime abord. Certes il restait de quoi circuler, peut-être espéraient-ils boucher les trous. Que la forêt soit forêt toute, sans interruption. Tout de même, ils sont gonflés, me suis-je dit, nous faire bosser à l’œil ! Ils pensent vraiment que je vais revenir arroser deux fois par semaine ? Faudra-t-il aussi que j’y installe ensuite les agrès où s’ébrouent les acrobates du dimanche ? Et puis, où va-t-on les mettre, ces graines ? Ça demande un minimum de respect du plan d’urbanisme local — entre quels arbres, ces arbres ? Je pourrais me tromper, faire une bourde. Si je plante la graine au milieu de la descente en tyrolienne, tout le monde va se prendre le pin en plein vol. Tu voulais des sensations fortes, en voilà pour ton argent, et pour cinq euros de plus, une photo souvenir de l’impact. On pourrait aussi corser le parcours — puisque tous les coups sont permis ! — et planter le pin au beau milieu d’une passerelle, ou à la perpendiculaire d’un autre tronc (et puis pourquoi ne pas poursuivre ensuite la spirale ?), ou directement sur le faîte d’un autre arbre — arbre sur arbre, tronc sur tronc, on reste dans l’esprit forestier. Une fois bouchés les trous au ras du sol, on grignote de la surface en hauteur.
En fait, la graine n’est pas à consommer sur place, elle est à emporter. Suis-je bête ! Parfait pour mon balcon de cinq mètres carrés, justement j’avais besoin d’ombre, l’été me rôtit, mais pourrai-je le replier à l’automne, mon parasol pin ? Et si je le mets en pot, cela ne risque-t-il pas de le rabougrir comme un bonsaï, et de n’ombrager pas plus haut que mes pieds ? À la moindre cheville qui enfle, c’est le coup de soleil assuré. Gare aussi aux incendies dans la pinède : pique-nique interdit sur mon balcon, idem pour la randonnée. Et puis zut, je n’ai tout de même pas l’intention de prendre racine ici, contrairement à lui qui se voit déjà déployer ses ramifications dans mon parquet, j’espère bien m’en aller un jour, où tiendra-t-il, mon flamboyant pin parasol haut de vingt mètres, enraciné à des kilomètres à la ronde ? Faudra-t-il un toit ouvrant à mon camion ? On connaît des chiens qui passent leur tête par la fenêtre de la voiture, et pourquoi pas mon arbre, crinière au vent sur l’autoroute ?
Ou alors… et le jardin du voisin au rez-de-chaussée, si j’y laissais tomber les graines depuis mon deuxième étage ? Nous aurions alors une vue imprenable sur la pousse de l’arbre, nous verrions s’élever le sommet de son crâne. Il me faudrait un prétexte régulier pour aller l’arroser, mais j’en ai un tout trouvé : récupérer les bâtons que mon fils ramène du parc, puis lâche à travers le garde-corps — sans faire exprès, ou pour se faire sa propre idée du graviton. « Bonjour, mon fils a encore fait tomber son bâton. » Il a plus de quatre-vingt-dix ans et donc ne verrait que du feu au petit arrosoir que je dissimulerais habilement dans mon dos, que j’inclinerais derrière moi l’air de rien dans son jardin, tout en lui parlant de la pluie et du beau temps — « Maudite sécheresse ! » — le tour serait joué et l’affaire, dans le sac. Et une fois l’arbre grandi, arrivé à notre hauteur, mon fils pourrait arracher ses bâtons directement depuis ses branches, rien qu’en tendant la main : retour à l’envoyeur (mais aurait-il encore l’âge pour ces enfantillages ?). Qui sait d’ailleurs si par la même occasion, à force de lui rendre visite, je ne sympathiserais pas avec le vénérable vieillard : et s’il retouchait son testament pour me laisser un petit quelque chose ? Son jardin peut-être, et voilà l’arbre redevenu ma propriété ! Je rentre dans mes frais !
Non, vraiment, le monde irait mieux, verdoierait, le climat serait plus tempéré si chacun semait au hasard des graines de pin parasol, au supermarché, sur la dalle de La Défense, dans les embouteillages du chassé-croisé, dans les datacenters de Google, sur les paquebots des croisières Costa, dans les mines de cobalt du Congo ou les silos à grain de Beyrouth. Pour ma part, c’est décidé, je planterai mes graines au milieu du chantier qui se prépare en face de chez moi, où tous les arbres ont préalablement été rasés cet effet, pour qu’en jaillisse un beau jour, d’un coup d’un seul comme à la détente d’un colossal ressort, à force d’avoir été contenu et réprimé par le béton qu’ils s’apprêtent à couler-là, un baobab adulte fendant leur résidence flambant neuf en deux, lamentablement écroulée le jour même de son inauguration en grande pompe.
Last modified: 17 août 2022