À la recherche d’une forme

Le peintre et le prêtre

Carte postale #1

Tandis que je franchis la dune qui me sépare de la plage de la Bosse, un personnage incongru se dévoile progressivement à mon regard dans la descente, casque audio sur les oreilles, cheveu hirsute et allure d’hippie quinqua, faisant les cent pas le pinceau à la main devant son chevalet, comme pour chercher l’élan nécessaire à son art. C’est le peintre local, donc, qui fixe sur sa toile — comme je m’en avise en le dépassant, jetant un coup d’œil dans mon dos — le moulin surplombant la mer.

Continue Reading

À la recherche d'une forme

23 août 2025

Read More

Une mélancolie passagère

Je ne suis certes pas le dernier à trouver les performances de Pogacar suspectes (ainsi que, en toute cohérence, celles de ses poursuivants directs, et j’ai déjà écrit à ce propos quand c’était son rival Vingegaard qui menait la danse), mais la rage qu’il suscite en ligne finit par me le rendre sympathique. Sa personne cristallise deux attitudes opposées, et caractéristiques du « supportariat », cet unisson sourd à toute nuance : il y a d’un côté ceux qui honnissent le Vainqueur (le Premier, le Dominant) par principe (sont-ils de gauche ?) et qui, scrutant la moindre de ses attitudes (coup de pédale, grimace — ou plutôt absence de grimace —, déclaration publique), l’accusent en conséquence de tous les vices : truqueur, tricheur, menteur. Serait-ce un autre Vainqueur qu’ils lui adresseraient strictement les mêmes reproches : il n’est que le véhicule interchangeable d’un archétype. De l’autre, il y a ceux qui adulent le Vainqueur (le Premier, le Dominant) par principe (sont-ils de droite ?), et voudraient en conséquence qu’il écrase chaque jour la course de son invincible supériorité, gagnant haut la main (ou, en l’occurrence, le mollet) chaque étape de montagne, matant impitoyablement, au même train qu’une grosse cylindrée, toute tentative d’échappée : la simple possibilité d’une limite à sa puissance (car, dans son cas, on ne peut même pas parler de signe de faiblesse, tant il en manifeste peu) leur fait l’effet d’un renoncement, d’une lâcheté, d’une trahison. Un comble : bien que je me sois promis de ne pas tomber dans l’un ou l’autre écueil, il peut m’arriver de me vautrer successivement dans l’un puis l’autre, suivant un mouvement de pendule schizophrénique, me surprenant d’abord à espérer malgré moi qu’il dynamite l’étape et cloue tout le monde sur place dans la montée, histoire d’avoir ma dose d’invraisemblable prouesse ; vouant ensuite aux gémonies, le cas échéant, la mafia sans scrupules qui nous confisque le Tour.

Continue Reading

À la recherche d'une forme

28 juillet 2025

Read More

Un exercice contrefactuel instructif

Avocat du diable 12

Lire l’épisode précédent : où l’on s’aventure sur un terrain peu familier

C’est amusant parce que, toujours à propos de cette histoire de retraite par capitalisation — tant qu’on y est ! — un économiste notoirement libéral mais peu suspect de malhonnêteté intellectuelle, Sylvain Catherine, s’est livré à un exercice contrefactuel instructif : imaginons qu’un salarié, ayant commencé à travailler en 1982 et payé au SMIC tout au long de sa carrière, ait investi chaque mois 10% de son salaire brut dans le CAC40. À l’aide d’un calcul rétrospectif tenant compte de l’inflation et de la rentabilité actuarielle historique de l’indice, Sylvain Catherine démontre que notre smicard aurait accumulé pour sa retraite un capital de 350 000€, convertible « en une rente viagère indexée sur l’inflation de 1 512 euros mensuels, soit 300 euros de plus que le montant prévu par le système par répartition existant, malgré un taux de cotisation plus de deux fois plus élevé. » Ces mêmes 10%, épargnés mensuellement au taux de rendement de la retraite par répartition, tel qu’estimé par le Conseil d’Orientation des Retraites pour la cohorte de 1960, vaudraient aujourd’hui 114 000€, soit trois fois moins. Et ce malgré les krachs boursiers de 1987, 2001, 2008 et 2020, qui fournissent habituellement leur argument massue aux opposants au système par capitalisation, choisissant d’ignorer qu’en tendance longue, le risque d’un tel placement est en réalité infinitésimal. Détracteurs qui, paradoxalement, ne ratent pas une occasion de reprocher aux actionnaires de s’en mettre plein les fouilles : il faudrait savoir !

Continue Reading

À la recherche d'une forme

16 mai 2025

Read More

Quel fucking rapport avec la France ?

Avocat du diable 11

Lire l’épisode précédent : où l’on fait escale chez les jésuites au Paraguay

Sur le blog d’un autre confrère — puisque j’ai commencé à confraterniser ainsi avec les écrivains que j’évoque ici, pourquoi ne poursuivrais-je pas sur ma lancée ? —, talentueux diariste en ligne (entre autres — c’est en tout cas la facette de son oeuvre qu’il m’arrive de fréquenter) qui a le don d’accoler les uns à la suite des autres les menus faits et observations du quotidien en les présentant nus, épurés de tout contexte superflu, vus sous un éclairage oblique qui leur confère une couleur absurde et désenchantée, je vois évoqué le système de retraite par capitalisation du Pérou — oui oui, et voyez au passage comme cet exemple s’inscrit merveilleusement dans mon essai-feuilleton qui fait la part belle, du fait de mon idiosyncrasie, à l’histoire sud-américaine.

Continue Reading

À la recherche d'une forme

13 mai 2025

Read More

Pour la plus grande gloire d’icelui

Avocat du diable 10

Lire l’épisode précédent : où l’on ne sait pas faire grand-chose de ses dix doigts

Pour conclure sur cette idée du vrai communisme qui n’a jamais été essayé, et puisqu’il serait trop facile de lui opposer comme d’habitude les désastres Mao et Staline, attardons-nous sur un épisode plus lointain et méconnu : les missions jésuites du Paraguay aux XVIIe et XVIIIe siècles. La puissante compagnie de Jésus avait réussi à créer une sorte d’enclave dans les colonies d’Amérique du Sud, soustrayant les indigènes guaranis à la mainmise esclavagiste des colons espagnols et portugais, obtenant même à cette fin la protection d’une ordonnance royale édictée à Valladolid en 1607.

Continue Reading

À la recherche d'une forme

21 avril 2025

Read More

Le fantasme de délivrance

Avocat du diable 9

Lire l’épisode précédent : où l’on vous laisse à penser quel potage

Ici je dois à mon lecteur un mea culpa, car sur ce dernier portrait je force volontairement le trait ; on peut être décroissant sans revenir au tribalisme sauvage, comme maints mouvements autonomistes semblent l’illustrer avec plus ou moins de succès, zapatistes au Mexique, zadistes intermittents sous nos latitudes — encore que les baraquements crottés des zones humides ne fassent guère envie — ou tout simplement néo-ruraux s’organisant en communautés à taille humaine, vivant à l’écart du courant mainstream et faisant profession d’écologie radicale. Par rapport à l’esthète révolutionnaire post-moderne et petit-bourgeois qui psalmodie son Deleuze pour mieux renâcler au travail, ceux-ci ont au moins le mérite de ne pas prétendre s’affranchir des contraintes matérielles qui de la vie font une vallée de larmes, en les déléguant à des machines ou à des livreurs Uber eats : c’est que, si l’on veut s’émanciper du capitalisme, il faut tout à la fois construire et maintenir son habitat, pourvoir à son eau et à son combustible, tisser ses vêtements, nourrir ses animaux et cultiver sa parcelle, instruire ses enfants, et s’il reste un peu de temps à la fin du jour, débattre en assemblée des décisions qui engagent le collectif… Trois petites heures suffisent-elles à s’acquitter de tout cela ?

Continue Reading

À la recherche d'une forme

16 avril 2025

Read More

Aquarelle et chasse aux papillons

Avocat du diable épisode 8

Lire l’épisode précédent : où l’on ne choisit pas ses exemples au hasard

J’ai lu il y a quelques temps sur le blog de l’un de ces estimés confrères — puis-je l’appeler confrère ? — une envolée à l’emporte-pièce du type — citation non exacte, c’est moi qui reformule approximativement de mémoire — « de toute façon tout le monde sait très bien qu’on pourrait tous se contenter de travailler trois heures par jour » — sous-entendu ça suffirait pour que tourne la boutique, ou le monde, ou la vie, s’il n’y avait pas cette satanée aliénation capitaliste, néolibérale, technofasciste (voilà une nomenclature récente qu’auront sans doute inspirée Musk et les autres magnats libertariens de la Silicon Valley), sous-entendu si le système ne nous forçait pas à nous tuer à la tâche pour engraisser quelques milliardaires — et peut-être sous-entendait-il aussi, mais je n’y mettrais pas ma main à couper, car dans un autre billet il vitupérait violemment l’intelligence artificielle, que toute corvée devrait déjà être prise en charge par des robots, ou plus vaguement par le progrès technologique ; en tout cas je me suis alors demandé si une énormité si puérilement désinvolte s’autorisait de quelque licence poétique ? Car une chose est sûre : rien de réel ne saurait la justifier.

Continue Reading

À la recherche d'une forme

11 avril 2025

Read More

Mantras et hyperboles

Avocat du diable 7

Lire l’épisode précédent : où l’on n’aura nul besoin d’être un conséquentialiste forcené

Du fait de l’extrême perfectionnement de nos méthodes et de nos instruments de mesure, qu’il s’agisse de quantifier les phénomènes matériels ou sociaux, nous avons aujourd’hui à notre disposition des chiffres fiables à revendre. Je veux avant tout parler d’indicateurs simples dans leur principe de lecture, d’ordres de grandeur assez bruts et à la portée de l’homme de la rue, mis à sa disposition par des institutions publiques, et non pas de données ayant fait l’objet de retraitements et de pondérations sophistiquées (comme c’est le cas, à ce que j’ai compris, de l’estimation de la croissance des inégalités par Piketty, sujette à controverses), moins encore de modèles mathématiques savamment triturés à coups de tests d’inférence, de régressions polynomiales, d’arbres de décision, de réseaux bayésiens ou autres descentes de gradients, destinés à traquer, derrière le foisonnement stochastique du réel, les corrélations, causalités, régularités et probabilités qui permettront de prédire l’avenir ou de simuler l’agentivité ; modèles qui sont l’apanage de techniciens hautement spécialisés pouvant alors s’affronter dans d’interminables débats d’experts, inaccessibles au commun des mortels.

Continue Reading

À la recherche d'une forme

8 avril 2025

Read More

Soumis à la loi des grands nombres

Avocat du diable 6

Lire l’épisode précédent : où l’on confesse un conflit de loyauté

Ce qui me reconduit à mon point de départ, qui est aussi l’autre raison de ma digression : la défense de ces fameux chiffres auxquels le poète reproche leur froide inhumanité. Au moment même où l’homme s’est livré corps et âme à la domination du chiffre, on dirait aussi que le chiffre, la statistique, c’est tout ce qui lui reste pour y voir clair, tant tout a pris des dimensions impénétrables à vue de nez : une sorte très paradoxale d’empirisme platonicien soumis à la loi des grands nombres — c’est dire si nous sommes dans de beaux draps ! Dans mon exemple du Chili d’Allende, comment ne pas s’interroger sur le bien-fondé d’un programme, aussi exaltant soit-il sur le papier, qui fait passer le taux d’inflation annuel de 30% à 600% en moins de trois ans, et comment ne pas douter de la validité de ses présupposés idéologiques ?

Continue Reading

À la recherche d'une forme

4 avril 2025

Read More

Vertigineuse débandade

Avocat du diable 5

Lire l’épisode précédent : où l’on commence à s’aventurer en terrain économique

Sans entrer dans le détail, fut mis en œuvre un programme de planification socialiste au fond assez classique (nationalisations massives visant notamment l’industrie minière largement aux mains d’entreprises étrangères, réforme agraire au pas de charge avec son lot d’expropriations de grands propriétaires, stimulation de la demande par la dépense publique et l’augmentation des salaires, contrôle des prix et création monétaire) qui, après une courte vague d’euphorie, s’est rapidement traduit par une vertigineuse débandade : croissance négative, inflation galopante, balance commerciale dans le rouge, pénurie et explosion du marché noir.

Continue Reading

À la recherche d'une forme

1 avril 2025

Read More