À la recherche d’une forme
Papillon
La nage papillon, telle que la pratique l’amateur, ressemble plutôt à s’y méprendre à celle du crapaud cul-de-jatte qu’empoisserait une flaque de pétrole.
Du papillon, on ne reconnaît à la rigueur que l’enfance larvaire et sa laborieuse reptation, quand il était encore chenille.
Continue ReadingLes écrivains pourraient s’introduire en bourse
Les écrivains pourraient s’introduire en bourse, moyennant une levée de fonds ; enfin cotés, ils se tireraient la bourre comme des Sociétés Anonymes. Autant d’actions mises en circulation que d’exemplaires imprimés des œuvres, à répartir entre pléthore d’actionnaires, du petit porteur, simple amateur de boursicotage, jusqu’au trader à haute fréquence (à condition d’écouler tous les titres émis, sans quoi gare à ce que le cours ne chute). On acquerrait non seulement ses exemplaires, mais un droit de propriété sur une parcelle du capital littéraire, à faire fructifier à long terme (peut-être pourrait-on même se rendre maître d’un orteil, d’un mollet ou d’une touffe de poils de l’auteur).
Continue ReadingDepuis un recoin de la littérature…
À propos du Sanatorium au croque-mort de Bruno Schulz, traduction de Thérèse Douchy, Allan Kosko, Georges Sidre et Suzanne Arlet, dans la collection L’imaginaire de Gallimard
Difficile de résumer d’un mot le style de ces nouvelles de Bruno Schulz réunies sous le titre de la plus kafkaïenne d’entre elles, qui fait aussi penser au troublant roman du méconnu Hermann Kasack, La ville au-delà du fleuve, tant porteur de promesses d’ailleurs, celui-là, que sa fin laisse un peu le lecteur (en tout cas moi) sur sa faim, justement— à cause même peut-être de son twist, efficace mais banalisé depuis par Hollywood, presque convenu aux yeux des post-modernes épuisés que nous sommes (tel personnage qu’on croyait vivant (bien que très bizarrement vivant) depuis le début s’avère en fait mort, hantant une sorte de réalité parallèle).
Continue ReadingOut of office
La tendance en matière de réponse automatique aux e-mails professionnels quand on part en vacances, c’est de ne surtout pas avouer dans le texte, même sous la torture, qu’on est justement « en congés », mot coupable à proscrire car laissant entendre, horresco referens, qu’on espère bien se la couler douce, aussi peu doux que soit par ailleurs dans les faits le fleuve intranquille, sans repos, et pour tout dire franchement tumultueux — il nous coule plus qu’on ne s’y coule — des vacances scolaires en famille ; non, le folklore corporate a préféré forger pour cette occasion particulière une formule absolument neutre, inattaquable, une convention minimaliste coupant court à toute interprétation, du moins théoriquement car en pratique personne n’est dupe, on préférera en tout cas écrire qu’on est « absent du bureau », « out of office » pour les plus internationaux et « OOO » pour l’élite des initiés, ce qui n’est pas, à l’ère de l’essor du télétravail, sans susciter d’ambigüités collatérales, puisque les jours où l’on télé-travaille, on n’est pas non plus présent physiquement au bureau, mais on ne se sent pas pour autant tenu de le signaler noir sur blanc dans toutes les communications dont on arrose collaborateurs et clients, du style « Bonjour, je vous écris présentement depuis le salon de mon appartement, veuillez trouver ci-joint un draft du kick-off pour l’on-boarding, belle journée », on se garde même bien de le préciser, qu’on est planqué chez soi en survêt’ plutôt qu’en première ligne au bureau, et dans ce sens finalement c’est cohérent, car de même que les gens n’ont pas à savoir qu’on est en vacances quand il leur suffit de savoir qu’on est absent du bureau, ils n’ont pas non plus à savoir qu’on est en survêt’ chez soi quand il leur suffit de savoir, par défaut, qu’on n’est pas absent du bureau, la présence au bureau figurant simplement là, par synecdoque interposée, les heures ouvrables, et non pas la présence palpable et irréfragable du corps du salarié — fût-il ailleurs en esprit, c’est un autre sujet — au sein des locaux de l’entreprise qui l’emploie.
Continue ReadingDu diktat inerte des choses
Ce bric-à-brac qu’on amasse, comme il pèse lourd et nous cloue au sol, nous enlise en lui jusqu’au cou comme des sables mouvants. Diktat inerte — passif-agressif diraient les psychologues — des objets qui, jamais à leur place, toujours en travers, nous narguent et même assaillent nos pieds par la plante.
Continue ReadingDans la peau d’un prix Nobel
Un système économique où, à intervalles rapprochés, mettons tous les trois ans, l’on échangerait sa situation professionnelle avec l’un de ses concitoyens, toute la population en âge de travailler étant tirée au sort par paires. Ce serait l’occasion d’une grande fête. Au cours d’une vie, on pourrait — du moins, ce serait statistiquement possible — officier alternativement comme livreur à vélo et cadre sup’ (grand amateur au demeurant de repas livrés à domicile), chômeur longue durée puis chasseur de tête, joueur de foot puis philosophe, starlette puis motocrotteur (dont l’engin bien nommé s’appelle aussi caninette ou même chiraclette, du nom de Chirac, apparemment son inventeur). Boursicoteur puis berger transhumant. Tueur en série puis baby-sitter. Growth Hacker puis Product Owner puis Chief Happiness Officer — puis kamikaze.
Continue ReadingNoyer le poisson
Pour noyer le poisson me suis-je d’abord dit écrivons sans ponctuation comme je l’avais fait là mais pour une autre raison à savoir signifier l’urgence et le temps qui me fait défaut pour écrire temps qui me fait toujours autant défaut mais cette fois je cherche plutôt à noyer le poisson m’en allant vous entretenir de choses dont je ne devrais justement pas vous entretenir
Continue ReadingPetite histoire de ma syncope
C’est l’événement. L’Agence a invité tous ses clients (beaucoup ont décliné).
Continue ReadingDes bidules aussi durables que possible
Ce qui est merveilleux de nos jours, c’est qu’on peut se demander en se grattant le menton « mais qu’en est-il vraiment de ces fameux stades climatisés ? », débouler l’instant d’après sur ici.radio-canada.ca, rubrique sport (allez savoir pourquoi j’ai préféré Radio Canada à Ouest France qui a pourtant eu la bonté de me proposer le même article au mot prêt), lire un maigre entrefilet, rédigé d’une plume sans doute asséchée déjà à la seule idée des rigueurs du désert, une sorte de communiqué laconique dont on ne sait s’il est repris tel quel de l’AFP crédité en chapô ou du Ministère qatarien, s’il a été écrit par un stagiaire ou un robot, le lire donc et conclure, soulagé
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