Bestiaire
Nul besoin d’inventer des animaux fabuleux — licornes, griffons et centaures — quand ceux-ci peuplent déjà le monde réel : pour le voir, il suffit de poser un œil vierge sur le lion et sa crinière, le cou de la girafe, le rhino caparaçonné, le tamanoir décousu, le requin-lutin cubiste, le singe partouzeur et la grue monogame, le lézard ancestral et les bioluminescences futuristes des abysses, la fantasmagorie bariolée des parades nuptiales, la limule et le silure, le condor et le colibri, les braves toutous et les chatons et tant de merveilles encore qu’on ne les découvrira jamais toutes. Au beau milieu de ce jardin enchanté trône à l’inverse une espèce qui surpasse les pires cauchemars de la science-fiction : l’humain technologiquement augmenté.
Scénario catastrophe
Un fait d’actualité crucial qui passerait absolument sous les radars, échappant à toute conscience, invisible à toute caméra, et qui aurait des conséquences incalculables.
Avec du neuf, faire du vieux
Quelle différence entre
le nourrisson d’antan, ruse apitoyante de la nature, poupon parfait dormant comme un charme au creux du couffin, rose, fragile et frais, adorablement mignon, joli à se damner — un ange ;
Tautologie publicitaire
Il existe un type bien identifiable de publicité tautologique : elle se présente généralement comme une longue succession de plans sans rapport, censés sublimer toutes les situations de la vie, soutenus par une charmante rengaine d’électro-pop easy listening, entraînante ou mélancolique.
Philosophe de l’impensé
Le philosophe trouvait de l’impensé partout : c’est qu’il était sans doute, conclut-il, le seul homme à penser. D’où découla l’ambitieuse hypothèse qu’à part lui, les hommes, qui longtemps s’étaient crus hommes, n’étaient qu’au mieux des singes. S’ensuivit l’impensable, qu’il s’empressa de formuler : de lui-même, cela ne faisait rien de moins que Dieu.
Discorde nationale autour des funérailles à Johnny
Après pour ou contre Charlie, ce fut pour ou contre Johnny, à la suite de quoi il fut décidé que toute polémique sociétale aux motifs trop obscurément emberlificotés serait désormais affublée d’un prénom qui en simplifierait radicalement l’énonciation. Qu’il s’agisse de l’abaissement des charges patronales ou des magasins ouverts le dimanche, on s’affirmerait désormais pour ou contre Martin ou Kevin.
Mother! de Darren Aronofsky
(Spoiler alert !)
Sous prétexte d’allégorie baroque, sans trame ni contexte, sur les dommages collatéraux de l’égoïsme, incarné-là par le Génie Littéraire (sic) sous les traits granitiques — profil orthogonal de statue grecque — d’un Javiem Bardem outrageusement mâle, baudruche enflée de testostérone, le film se vautre gratuitement dans une putasserie sordide.
Subvertir la superstructure
Dès lors qu’on travaille en entreprise, irrémédiablement pris dans l’absurde enchevêtrement économique de clients, partenaires, collègues, employés, subalternes, fournisseurs, prestataires, managers, directeurs, patrons et chefaillons en tous genres, on n’est plus qu’un rouage microscopique de la superstructure capitaliste, et l’on ne s’appartient plus.
C’est hors d’elle qu’il faut travailler pour s’appartenir, et contre elle pour la subvertir.
Cimentation
Gorgé de soi par accumulation du moi au fil des ans, l’homme perd en capacité d’écoute à mesure qu’il vieillit. L’attention à l’égard de l’autre, que favorise l’indétermination poreuse de la jeunesse, disparaît au profit du sentiment unilatéral de sa propre importance, hermétiquement consolidé comme un ciment.
Réchauffement
Le vieil industriel, issu d’un sang noble révolu et cramponné par atavisme à l’ancienne étiquette, vouait aux gémonies tout ce qu’il voyait passer d’hommes en shorts, bermudas, chemisettes, claquettes, tongs et autres fripes décadentes révélant les chairs. L’homme occidental qui se respecte doit aller en manches longues, chaussures fermées et pantalon.