Caractères Hautement subjectifs
Apprentissage
Certaines circonstances nous inspirent parfois des conclusions sur l’existence qui nous font sur le coup l’effet de révélations puissantes. Qu’on les jette seulement sur le papier pour les relire quelques années plus tard, elles nous paraîtront éculées, dépassées, d’une naïveté confondante.
C’est qu’une vie est courte pour rattraper le chemin déjà parcouru par l’humanité, et il nous faut progresser à pas de géant.
Professeur d’émancipation
Le philosophe prônait l’émancipation par la rupture radicale avec les identités intolérables que nous assigne de force le hasard de la naissance : la nationalité, la condition sociale, le genre et toutes les parties du corps. Il militait notamment pour la prise en charge intégrale par la sécu des frais de chirurgie esthétique, que chacun puisse librement transformer son moi, et repartir d’un pied nouveau dans la vie, ou d’une nouvelle paire de seins. Premier cobaye de ses expérimentations philosophiques, lui-même s’était fait ravaler les chicots, liposucer le bidon, botoxer la bobine de-ci de-là. Son puissant concept fit école, et toutes les cagoles de Marseille furent derrière lui.
Du “lifestyle influencer”
Le lifestyle influencer — qui s’octroie lui-même volontiers ce titre — est un nouveau prototype humain poignant avec l’âge digital-communicationnel, réalisant l’hybride un peu bâtard entre la vedette professionnelle et le pékin lambda.
Toutous de sortie
Au bois de Vincennes, les braves toutous sont de sortie, avec cet air impassiblement abruti qui nous les rend aimables. Il y en a pour tous les goûts,
La science-fiction au quotidien
Deux radios-réveils synchronisés depuis peu, l’un dans la chambre, l’autre dans la cuisine, qui ne donnent déjà plus la même heure. Le décalage se compte en minutes.
Sauce piquante
Il y a de ces situations qui, faisant jouer quelque aspect indéfinissablement pathétique, font éprouver une peine absurde, voire même quand s’y mêle un soupçon de dégoût, de la pitié.
Mi dandy, mi tarzan
Mi dandy, mi tarzan, il a mené sa douce à la plage avec tout le matériel d’un dîner aux chandelles. Ainsi verse-t-il, à intervalles fréquents, dans deux verres à pied, un vin qu’on devine pétillant pour le prestige. Son appareil à musique émet un jazz sirupeux de circonstance, heureusement couvert par le fracas naturel du ressac qui, ici du moins, devrait suffire à l’oreille mélomane.
Bestiaire
Nul besoin d’inventer des animaux fabuleux — licornes, griffons et centaures — quand ceux-ci peuplent déjà le monde réel : pour le voir, il suffit de poser un œil vierge sur le lion et sa crinière, le cou de la girafe, le rhino caparaçonné, le tamanoir décousu, le requin-lutin cubiste, le singe partouzeur et la grue monogame, le lézard ancestral et les bioluminescences futuristes des abysses, la fantasmagorie bariolée des parades nuptiales, la limule et le silure, le condor et le colibri, les braves toutous et les chatons et tant de merveilles encore qu’on ne les découvrira jamais toutes. Au beau milieu de ce jardin enchanté trône à l’inverse une espèce qui surpasse les pires cauchemars de la science-fiction : l’humain technologiquement augmenté.
Scénario catastrophe
Un fait d’actualité crucial qui passerait absolument sous les radars, échappant à toute conscience, invisible à toute caméra, et qui aurait des conséquences incalculables.
Avec du neuf, faire du vieux
Quelle différence entre
le nourrisson d’antan, ruse apitoyante de la nature, poupon parfait dormant comme un charme au creux du couffin, rose, fragile et frais, adorablement mignon, joli à se damner — un ange ;