Il y a trois mois, j’ai fait cette expérience étrange
Il y a trois mois, j’ai fait cette expérience étrange, difficile à restituer, lors d’un dîner avec quelques vieux amis à l’occasion de mon anniversaire : tout à coup, à une heure avancée de la soirée, légèrement embrumé par l’alcool, je me suis senti complètement vide, ou transparent, comme réalisant brutalement que mon moi n’avait aucune existence propre : aussi bien je n’étais personne, ou rien de plus qu’une coquille, une enveloppe sans contenu déterminé. Ce fut une sorte de vertige passager, qui me rendit profondément mélancolique, une révélation négative que j’attribuai au fait qu’il n’avait jamais été question de moi-en-tant-qu’écrivain, au cours de ces quelques heures passées à renouer avec des amis que, par la force des choses, je vois désormais rarement. Jamais, alors que nous nous racontions les uns aux autres, mon être-écrivain ne fut mis sur la table, si je puis dire. Cette facette de ma personnalité n’existait plus. Je me suis senti complètement vide, comme si seul mon dévouement à la littérature pouvait me conférer quelque épaisseur ontologique.
Continue ReadingEst-il encore seulement permis de raconter des histoires ?
Est-il encore seulement permis de raconter des histoires ? De développer une intrigue, d’inventer des dialogues ? Non, à en croire l’injonction méta-littéraire à l’avant-garde, selon laquelle tout écrivain qui n’aspirerait pas à être un nouveau Joyce, ou un nouveau Beckett, serait caduc d’office. Quand je tombe sur ce genre de parti pris, et bien qu’il ne me soit pas adressé, et peut-être même ne concerne pas mon travail (écris-je vraiment de la fiction au sens traditionnel du terme ? De quoi parle-t-on exactement ?), je ne peux pourtant m’empêcher de me sentir visé. C’est mon côté susceptible et mal assuré, presque coupable ; c’est aussi l’aiguillon qui défie ma conscience. Ça me tiraille : puis-je encore suivre la dictée de mon instinct ?
Continue ReadingÀ force de me tourner dans la tête
À force de me tourner dans la tête, sans que je trouve le temps (l’espace ? La résolution ?) de les poser par écrit, certaines de mes idées finissent par moisir. Mieux vaut peut-être alors écrire sans idée, sur le pouce. Ça m’oblige au moins à m’affranchir, pour le meilleur ou le pire, de ma lubie de la forme aboutie, avec son introduction, son développement et sa manière de chute. C’est plus fort que moi : j’aime bien raconter des histoires, quel que soit le genre qu’elles revêtent. C’est ainsi que mes textes me viennent à l’esprit.
Continue ReadingJ’inaugure une nouvelle méthode
J’inaugure une nouvelle méthode (ce soir, j’ai bu deux verres de rhum). Et peut-être même retourné-je ma veste. Longtemps, j’ai cultivé l’habitude d’écrire avec préméditation (la preuve : cette phrase même est préméditée). Mais ça ne colle plus à mes conditions d’exercice. D’ailleurs, j’abandonne les deux dernières pièces (un texte à propos de John Cage, l’autre, de Vargas Llosa) que j’avais ourdies : peine perdue. De toute façon, ça intéresse qui, mes états d’âme esthétiques ? J’avalise plutôt le fait accompli ; au pied du mur, on écrit comme on peut.
Continue ReadingGrowth hacking
À l’espace coworking, on rêve de growth hacking.
Pirater la croissance donc, non pas en sillonnant les mers du Sud, mais bien plutôt en barbotant dans le marigot surpeuplé du business digital, où tous — vaguement requins, surtout marteaux — convoitent le même butin : la martingale qui les farcira d’or.
Continue ReadingCritique de la vie quotidienne, et des télésièges
Curieux livre d’Henri Lefebvre, dont je m’étais promis de lire quelque chose depuis longtemps. Quand, comme j’ai l’habitude de le faire pour presque chacune de mes lectures, j’ai posté sa couv’ sur mon fil Twitter, 14 personnes l’ont « likée » et 4 l’ont « retweetée », dont deux qui ont ajouté un commentaire, du type poing levé et couteau entre les dents (bizarrement, pour une raison que j’ignore, je n’arrive plus à afficher lesdits commentaires, à l’heure où j’entame cette note. Leurs auteurs se seraient-ils rétractés depuis ?), statistiques qui disent un peu, à la modeste échelle de mon audience et toutes pincettes prises quant à leur très réduite représentativité, l’estime où est tenue cet auteur parmi un certain public (lequel, de public ? Sans doute un public un minimum averti en matière de marxisme, dont Lefebvre fut un éminent spécialiste).
Continue ReadingCorbeilles de fruits
À l’espace coworking il y a des corbeilles de fruits offerts en libre-service aux pensionnaires.
Healthy est le mot d’ordre ici ; et il semble que la simple vue de fruits suffise à recouvrer la santé.
Certes les bananes sont un peu vertes, comme cueillies avant terme dans la bananeraie la plus proche, quelque potager participatif du 9e arrondissement sans doute.
Continue ReadingMusique d’ambiance
À l’espace coworking, il y a de la musique d’ambiance, tendance techno-lounge, qui pulse en sourdine dans les parties communes.
Son volume n’est certes pas excessif : elle est presque aussi discrète que l’air qu’on respire. Et pourtant, on étouffe.
Dommage, d’ailleurs : aux toilettes elle masque à peine les bruits parasites…
Continue ReadingSous l’empire des protocoles
Qui se dit « au bout de sa vie » à tout propos, puisse-t-il justement y arriver pour de bon, « au bout de sa vie », à l’instant même où il prétend s’y trouver — par combustion spontanée par exemple.
Continue ReadingDécor de rêve
Solénoïde, de Mircea Cărtărescu. De ces livres qui vous font forte impression : me plonge dans la mélancolie et me décourage d’écrire.
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