Trois romans deux-cents manuscrits
Cela fait plus ou moins douze ans que j’écris, au sens d’écrire pour de vrai — une fois passé l’âge de la prose égotiste au style bouffi — l’esprit animé d’une conviction (d’aucuns diraient lubie) proprement littéraire, s’affirmant au gré des lectures, de l’expérience du travail et de la pratique de l’imagination. J’écris sous diverses formes : des nouvelles, des récits d’anecdotes ou de voyages, des journaux, des textes brefs de toutes sortes (contes, aphorismes, portraits etc.) et bien sûr, des romans. Jusqu’ici, trois romans.
Scandale au Salon du Livre
« Au diable les éditeurs ! » s’écrie soudain l’écrivain maudit, renversant son encrier. Puisque personne ne se décide à le publier, il se débrouillera seul, et il aura même budget illimité. Au diable les éditeurs ET l’avarice, donc !
Coup de foudre à la station-service
L’écrivain maudit — divorcé depuis peu, avec trois enfants à charge dont tout de même deux hyperactifs, sa femme s’étant envolée pour la Californie au bras d’un fringant startuper de la Silicon Valley (corps de marbre et hâle d’or) — se trouve d’autant plus marri qu’il vient de se faire licencier du cabinet d’expertise comptable pour avoir, par mégarde, laissé traîner dans le rapport annuel remis à la SARL BIDULE un amusant pamphlet de son cru fustigeant avec force obscénités les innombrables tares de M. Jean Dupont, despote rapace, lubrique et ventru certes, mais néanmoins dirigeant de la SARL BIDULE, entrepreneur émérite et plus gros client du cabinet, peu porté par ailleurs sur l’autodérision.
Misère de la critique promotionnelle
Quelle gradation subtile dans la nuance, quelles délices d’euphémismes, quels trésors de pudeur, quelles merveilles de retenue le critique ne déploie-t-il pas, pour éviter de dire en un mot qu’un livre est mauvais ; car s’il devait s’abstenir de le commenter, il ferait s’effondrer derrière lui toute la chaîne de valeur qui alimente justement l’expression de son expertise, et il en perdrait sa raison sociale. Remarquez qu’en bon fétichiste, il n’a pas à forcer sa nature : c’est l’objet pur de son fétiche qui l’anime, la Littérature en général, au-delà de ses manifestations particulières, sous toutes les formes qu’il voudra bien lui prêter pour peu qu’il puisse s’y mirer avantageusement tout en s’écoutant parler.
La reconversion de l’écrivain maudit
L’écrivain maudit estime, à l’instar de Rimbaud, qu’il a fait le tour des Lettres. Il s’ennuie et réfléchit sérieusement à se reconvertir dans le trafic d’armes.
Mais en plagiant ainsi son prestigieux prédécesseur, il se condamne à n’être qu’une pâle copie, un paresseux usurpateur devant la postérité. Il faut innover, que diable, pour conquérir le privilège immortel de la commémoration !
L’écrivain maudit se choisit donc une carrière plus extravagante encore : il sera dealer de cocaïne.
Souvenir de Manosque (2)
Les guêpes apparemment sont carnivores.
Nous dînons sur la terrasse. L’une d’elles s’intéresse de près à nos chipos et nos merguez. Comme elle tourne autour de nos assiettes en rase-motte épileptique, menaçant au moindre écart de nous piquer, nous finissons par l’appâter avec une petite entame de saucisse.
Souvenir de Manosque (1)
Séjour à Manosque dans une petite maison de pierre à quelques minutes de la vieille ville piétonne.
Deux pièces dont une chambre sous le toit, un intérieur modeste, ravissant et pratique, meublé de bois, ouvert par un perron sur le jardin. Le strict nécessaire à la vie douce.
Ces invraisemblables brouillaminis
Au sujets des multiples digressions qu’il entortille gaiement dans La Vie et les opinions de Tristram Shandy, Laurence Sterne écrit quelque part dans le volume VIII :
« Ne dirait-on pas que je prends plaisir à me jeter dans ces invraisemblables brouillaminis uniquement pour découvrir par quels moyens inédits je réussirai à en sortir ! » 1
