Professeur d’émancipation
Le philosophe prônait l’émancipation par la rupture radicale avec les identités intolérables que nous assigne de force le hasard de la naissance : la nationalité, la condition sociale, le genre et toutes les parties du corps. Il militait notamment pour la prise en charge intégrale par la sécu des frais de chirurgie esthétique, que chacun puisse librement transformer son moi, et repartir d’un pied nouveau dans la vie, ou d’une nouvelle paire de seins. Premier cobaye de ses expérimentations philosophiques, lui-même s’était fait ravaler les chicots, liposucer le bidon, botoxer la bobine de-ci de-là. Son puissant concept fit école, et toutes les cagoles de Marseille furent derrière lui.
Au bureau
Expert comptable
Dans la vie civile, l’écrivain maudit travaille au cabinet d’expertise comptable.
Son collègue Jean-Michel lui lance : « tu sais toi, comment on écrit bail emphytéotique ? »
Bien sûr qu’il sait, puisqu’il est écrivain.
Pourtant il répond à Jean-Michel qu’il ne sait pas.
C’est qu’il préfère être incognito.
Du « lifestyle influencer »
Le lifestyle influencer — qui s’octroie lui-même volontiers ce titre — est un nouveau prototype humain poignant avec l’âge digital-communicationnel, réalisant l’hybride un peu bâtard entre la vedette professionnelle et le pékin lambda.
Je est un autre
Le drame de l’écrivain maudit, c’est qu’aux yeux du monde, rien ne le distingue de la masse des soupirants malheureux que l’édition industrialisée recale à tour de bras.
Il est soudain pris d’un doute :
Et si l’écrivain maudit, ce n’était pas lui, mais un autre ?
Toutous de sortie
Au bois de Vincennes, les braves toutous sont de sortie, avec cet air impassiblement abruti qui nous les rend aimables. Il y en a pour tous les goûts,
La science-fiction au quotidien
Deux radios-réveils synchronisés depuis peu, l’un dans la chambre, l’autre dans la cuisine, qui ne donnent déjà plus la même heure. Le décalage se compte en minutes.
Sauce piquante
Il y a de ces situations qui, faisant jouer quelque aspect indéfinissablement pathétique, font éprouver une peine absurde, voire même quand s’y mêle un soupçon de dégoût, de la pitié.
Un jour, sous un piano…
À l’écrivain maudit qui depuis dix ans rageusement noircissait tout le papier qui passait sous sa main, pondant sans relâche pamphlet sur pamphlet, l’éditeur invariable répondait que malheureusement la rencontre n’avait pas eu lieu – avec le texte, s’entend. Il ne fallait pas se décourager pour si peu : si ce n’était lui, ce serait un autre.
Mi dandy, mi tarzan
Mi dandy, mi tarzan, il a mené sa douce à la plage avec tout le matériel d’un dîner aux chandelles. Ainsi verse-t-il, à intervalles fréquents, dans deux verres à pied, un vin qu’on devine pétillant pour le prestige. Son appareil à musique émet un jazz sirupeux de circonstance, heureusement couvert par le fracas naturel du ressac qui, ici du moins, devrait suffire à l’oreille mélomane.