Lire les romans-monstre : Terra Nostra, de Carlos Fuentes
Je reproduis ici les premiers paragraphes d’un article à découvrir dans son intégralité sur le site du magazine littéraire et culturel Pro/p(r)ose Magazine qui a eu l’amabilité de m’accueillir en ses colonnes. Il s’agit de ma lecture de Terra Nostra, roman titanesque du mexicain Carlos Fuentes.
Continue ReadingDeuxième vague (Partie 4)
Démunis, on s’en remit à la science qui saurait bien nous tirer d’affaires par un tour de passe-passe dont elle aurait le secret. Le profane se réveille un beau matin pour voir la nouvelle tomber du journal, et il est déjà prêt à faire la queue : on a breveté un vaccin, un traitement d’huiles essentielles, une combinaison en plexiglas (Hygiaphone en option) ; n’importe quoi, la bombe atomique s’il le faut, pourvu que tout redevienne comme avant.
Deuxième vague (Partie 3)
Bien sûr, des masques, on s’en pouvait aussi coudre à domicile dans son tissu fantaisie préféré, Spiderman ou Reine des neiges, à condition d’être calé en couture — ainsi qu’en normes d’hygiène certifiées par l’AFNOR. C’était toujours l’occasion de voir quelque tutoriel en ligne, pour qui aime la patine exotique. Le tout étant qu’on le porte partout, tout le temps, son masque, sur le Mont Blanc et dans le désert, au fond des océans, à la selle et dans son lit, sans jamais se palper le visage, ce geste incontinent qui nous prend deux cent soixante-trois fois par jour.
Deuxième vague (Partie 2)
Après application du gel, on doit encore fermer le flacon, donc tripoter le bouchon : qui pourra me garantir que cette surface est saine ? N’est-ce pas jouer avec le feu ? — ce qui, soit dit en passant, n’en ferait rien de moins qu’un cocktail Molotov… Ne vaut-il pas mieux prévoir un deuxième flacon, pour se désinfecter du premier, puis un troisième, pour se désinfecter du deuxième, et ainsi de suite, de sorte que l’hypocondriaque connaîtrait les vertiges de l’infini dès la moindre poignée de porte ?
Deuxième vague (Partie 1)
À peine au creux de la première, il fut question de la deuxième, et pour cause : les vagues ça vogue en escadrilles ou ce ne sont pas des vagues. Une fois qu’on est pris dans la marée, chaque autre vague suivra ; amabilité de la Lune. Autant s’initier tout de suite à la planche, non pas de surf, mais de salut : terre ferme à jamais meuble sous nos pieds.
Dernier souffle
« J’ai mis de l’ordre dans mes manuscrits. Tu en trouveras au moins trente absolument dignes d’être publiés. Je t’ai laissé une liste d’éditeurs, par centaines, sans compter ceux qui te restent à dénicher : ça pousse comme de la mauvaise herbe. Je te passe le flambeau, j’ai confiance ; là où j’ai échoué, tu finiras par réussir. Et maintenant, sois gentil, laisse-moi mourir, que je rêve enfin à ma postérité. »
Raconter une histoire
Résumé de l’épisode précédent : où l’auteur s’en prend aux algorithmes.
Mais — assez cogné. Si tant est qu’on me lise, je n’échapperai pas à la critique : « Stratégie de distinction ! Comme Gombrowicz ! Comme tout le monde ! » — opposera-t-on à ma thèse illuminée. Comme Gombrowicz, peut-être ; comme tout le monde : sûrement pas. Car ici je prêche pour moi seul — alentour, aucune chapelle à défendre, aucun mouvement, aucun cénacle — mon désert ; une affaire entre mon lecteur virtuel, la littérature et moi.
Littérature du futur, ou le règne de la quantité
Il se veut d’ailleurs à la pointe de la technique mais apparaît dépassé. Plus jeunes et baignant dans le code, ses émules rendent enfin pleinement effectif le concept d’« écriture sans écriture », grâce aux algorithmes.
L’écriture sans écriture
Dans une sorte de mouvement contraposé, on trouvera les mêmes qui s’appliquent d’un côté à déprécier la valeur de toute tradition artistique, plaidant avec zèle de l’autre pour qu’on hisse au rang d’art : le jeu vidéo — on comprend d’ailleurs mal à quoi bon, puisqu’une fois celui-ci consacré, il faudrait implacablement le démolir ?