Découdre la langue
Est suspecte une maison d’édition qui convoque pour décrire sa ligne des géants par ailleurs tout à fait absents de son catalogue. L’une par exemple se réclame sans rire de Kafka, de Musil, de Gombrowicz, et même d’auteurs vivants, comme Chevillard, qu’elle ne publie pourtant pas. Comble du vice, elle glisse dans le tas les noms de quelques uns de ses poulains, comme on fourgue une vieille camelote sous emballage pimpant, ni vu ni connu j’t’embrouille.
Professeur d’émancipation (2)
Le philosophe humaniste professait l’émancipation au peuple dont pourtant il redoutait par-dessus tout qu’il fît effectivement sa loi, tellement pauvre, sale et bête. Heureusement qu’il y a loin, pensait-il en séchant une sueur froide contre sa tempe délicate, de la théorie à la pratique.
Rêves d’ambition
Pauvres fous
L’écrivain maudit observe attentivement ses collègues : tout dans leur attitude trahit leur parfaite ignorance du fait qu’ils côtoient quotidiennement un génie littéraire. L’écrivain maudit rit sous cape de tant de naïveté.
Jargon militant
Rien de tel que de jargonner pour se donner de grands airs militants. Le jargon jargonnant délimite un champ lexical pour initiés, à quoi se reconnaissent entre eux les bienfaiteurs de la cause, et grâce auquel ils se désignent pour ennemis les profanes qui n’en manient pas les concepts selon toutes les rigueurs de la Sainte Doctrine.
Tyrannie des systèmes théoriquement clos : le jargon militant engendre lui-même les clivages qui viendront alimenter ses revendications.
Recyclage
Le progrès amena naturellement la science à concevoir une solution idéale pour les déchets nucléaires : les larguer dans l’espace, où ils dériveraient sans danger dans l’infinie vastitude, en dose infime parmi les étoiles flamboyant d’une explosion atomique perpétuelle.
L’écrivain maudit fait des rencontres
Rencontre 1
L’écrivain maudit rencontre un autre écrivain maudit. Mettant toute leur bonne volonté à communiquer ensemble, ils se jettent à la figure des noms d’écrivains qu’ils affectionnent.
#Passion Chou-Fleur
Avec la prégnance croissante des modalités numériques de socialisation, un nouveau type de langage s’élabore, comme juxtaposition de mots-clés, ou signaux de reconnaissance, servant de paraphrase aux images que chacun diffuse de sa propre vie — images hautement scénarisées, selon l’idée plus ou moins grossière qu’on se fait du style, de loisirs où domine le shopping ; comme un discours meta-sur-soi, suggérant aux destinataires l’intention sous-jacente à ce qu’ils voient.
Your own personal Jesus
Pourrait-on dire, qu’après la mort de Dieu, puis la consécutive dissolution du sujet, l’homme désespéré de se ressaisir a fini par faire éclore un Dieu de substitution directement en lui-même ? Des millions de micro-divinités concurrentes à usage strictement personnel, chacun étant désormais devenu son propre petit Dieu à soi, son propre objet d’auto-adulation.
Apprentissage
Certaines circonstances nous inspirent parfois des conclusions sur l’existence qui nous font sur le coup l’effet de révélations puissantes. Qu’on les jette seulement sur le papier pour les relire quelques années plus tard, elles nous paraîtront éculées, dépassées, d’une naïveté confondante.
C’est qu’une vie est courte pour rattraper le chemin déjà parcouru par l’humanité, et il nous faut progresser à pas de géant.
Sur les réseaux
Premier essai
L’écrivain maudit se frotte les mains.
Il va rédiger un tweet du tonnerre, à l’humour ravageur, au style ciselé, au tel potentiel de viralité qu’il va faire le tour du Web, et populariser son travail auprès d’un si large public que les éditeurs lui mangeront dans la main, et le supplieront de publier avec eux son roman.
Zut, il envoie son tweet grêlé d’une impardonnable coquille. Encore raté.