À la recherche d'une forme Tag Archive

La poursuite de l’objectif

Nouveaux fragments 5

Je fais souvent ce type de rêve, sans doute classique et confinant parfois au cauchemar, dont je n’irai pas vous narrer par le menu les manifestations circonstanciées — les récits de rêve me barbent (ce qui ne m’empêche pas de fréquenter assidûment une littérature qu’on pourrait dire onirique), je ne vais donc pas en infliger à mes trop rares lecteurs — mais que je pourrais caractériser de la manière suivante : la poursuite de l’objectif qui sans cesse se dérobe à moi. Un but m’est fixé, qui me semble aisément atteignable autant qu’éminemment désirable, et je m’y emploie gaiement, sûr de mon fait. Chemin faisant survient pourtant une difficulté imprévisible qui non seulement m’en éloigne, mais devient vite insurmontable. Je m’embourbe même si bien, mon plan tout d’abord infaillible devient à ce point intenable qu’insensiblement, un but secondaire, d’ambition moindre, se substitue au premier, perdu de vue celui-ci tant il m’est devenu hors de portée ; mais patatras, surgit alors une contrariété nouvelle, une contrariété au carré qui anéantit mon dessein déjà revu à la baisse, et ainsi de suite, jusqu’à ce que ces échecs en cascade et ma labyrinthique errance, m’acculant à une position désespérée, ne finissent par me réveiller. (Peu porté sur la psychologie des profondeurs, je n’ai pas cherché loin l’interprétation qui m’a paru évidente, et qui de fait l’est sans doute un peu trop : on me met des bâtons dans les roues qui m’empêchent d’arriver là où je voudrais être, la voilà la vérité ; mais ma compagne, plus versée en ces matières, a émis l’hypothèse que mon but lui-même m’était peut-être inconnu, et que c’était lui que je cherchais à débusquer en mes propres tréfonds, selon quoi j’étais encore moins avancé que je ne le pensais dans ma quête…)

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À la recherche d'une forme

9 décembre 2023

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Peser dans le game

Nouveaux fragments 4

Je crois mériter mieux au travail aussi, et bien que je me foute à peu près complètement de ma « carrière » — je suis cadre comme d’autres sont ouvriers spécialisés, déterminisme et nécessité faisant loi — celle-ci occupe, que je le veuille ou non, une part considérable de mon temps ; et alors, petit prestataire (et que serais-je d’autre que prestataire, c’est-à-dire intermédiaire, simple moyen, puisque, indifférent au business, je me désintéresse absolument des fins ?) croupissant au service des lâches, des arrivistes, des cupides, des incompétents, de ces maudits épiciers bornés que sont les clients, pire engeance qu’ait enfantée le capitalisme — un jour peut-être leur dédierai-je enfin le pamphlet que je leur réserve depuis longtemps, et faites-moi confiance il sera d’une rare violence ! — je ne peux m’empêcher de penser parfois que je pourrais la réussir malgré tout, tant qu’à faire, cette carrière, peser dans le game, devenir manager d’une licorne, quoi que cela puisse bien vouloir dire, siéger au comité exécutif d’un grand groupe, décrocher la timbale et des primes mirobolantes, la grosse bagnole, la grande maison en banlieue ouest ou le loft à Montreuil, et pourquoi pas même la résidence secondaire, toutes choses auxquelles après tout sur le papier mon cursus devrait me faire prétendre, ce succès sans frein dont j’ai maints exemples parmi mes anciens camarades de promo ; j’y pense sans y croire car la gnaque qu’il y faudrait me fait défaut : à quoi bon deviendrais-je ce qui tant m’ennuie et me répugne ? C’est qu’on y perd son âme, et je tiens encore un peu à la mienne.

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À la recherche d'une forme

7 décembre 2023

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Tant d’idées qui s’effilochent

Nouveaux fragments 3

Tant d’idées, tant d’envies d’écrire me viennent qui s’effilochent ensuite à mesure que le temps passe sans que je puisse trouver l’espace, ni l’énergie qui m’est impitoyablement aspirée par le monde, pour leur donner corps. Plus jeune, je me souviens, je mettais un point d’honneur à mener à leur terme toutes mes idées, c’est dans mon caractère d’achever tout ce que je commence (ainsi ne me suis-je autorisé que tardivement à ne pas lire en entier tous les livres…), au forceps s’il le faut pour le meilleur et pour le pire, mais autant à l’époque j’aurais peut-être parfois dû m’abstenir de faire feu de toute inspiration — au fond qui sait, puisqu’alors personne non plus ne me lisait ? —, autant j’aimerais aujourd’hui pouvoir allumer plus souvent la mèche… Vampirisé par tant d’obligations, j’erre souvent sans but sur Internet plutôt que de me mettre au travail, le soir après vingt et une heures, une fois conclu le marathon du jour, enfin rendu certes à moi-même, mais sans force ni l’horizon dégagé que requiert l’immersion littéraire.

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2 décembre 2023

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Qui le dira, si ce n’est moi ?

Nouveaux fragments 2

J’étouffe de patauger dans la médiocrité, oui, et je crois mériter mieux. Mieux pour ma vocation littéraire, mort-née depuis près de vingt ans que j’écris, non pas morte pour moi qui la maintiens vive en mon royaume, qui la poursuis de mon obsession pugnace — quand des amis me demandent de loin en loin si j’écris toujours, je leur réponds toujours : « jusqu’à ce que mort s’ensuive » — mais mort-née du côté du public, parce que l’infâme et moutonnier sérail ne m’a jamais donné ma chance, que je ne jouis pas de la moindre reconnaissance — je dirais même : existence —, et parce que je sais pourtant valoir tellement mieux — au diable la modestie : qui le dira, si ce n’est moi ? — mais quelle chance a-t-on dans cette vie de vraiment trouver la place qui de droit pourtant nous revient ? Il doit même y avoir quelque part quelqu’un qui, la mienne, me l’a volée : qu’on me désigne l’usurpateur ! Je ne demande pourtant pas grand-chose, ni prix ni postérité garantie, seulement le loisir d’écrire mes livres, et une tribune pour les faire lire.

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27 novembre 2023

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La voilà la vérité

Nouveaux fragments 1

« La voilà la vérité, j’étouffe de patauger dans la médiocrité ! » C’est en me répétant cette phrase que je me rendais l’autre matin à la station Corentin Celton, après avoir déposé mon fils aîné à l’école, ce qui me contraint à faire plusieurs fois par semaine un long détour à pied, traversant le parc Frédéric Pic puis longeant l’enceinte du parc du lycée Michelet, détour auquel je ne renoncerais pour rien au monde (enfin, j’exagère à peine, je dois bien pouvoir trouver quelque chose…), du fait du répit solitaire qu’il m’offre, si éphémère soit-il. Nos jambes et nos pieds sont là pour servir, bien qu’on s’ingénie à toujours plus nous les atrophier. Coïncidence étonnante, comme je l’ai alors consigné sur Twitter : tandis que la phrase me tournait dans la tête, j’ai entendu un type sous un abribus s’exclamer « Voilà la vérité ! » au téléphone, juste au moment où je passais à son niveau.

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24 novembre 2023

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Les Mouettes

Quatre nages

Lire la première partie

2014 : première inscription en club de natation amateur aux Mouettes de Paris, dans le 19ème. Des forcenés ; les entraîneurs comme les entraînés. Les premiers, quasi des sergents instructeurs avec des biscotos larges comme ma cuisse (le plus musclé d’entre eux était aussi le plus idiot, comme quoi ces deux grandeurs-là ont finalement peut-être entre elles quelque proportionnalité). Sévissant un temps à Pailleron, bassin de trente-trois mètres pour faire durer le plaisir (on n’en voit pas le bout), puis à Georges Hermant, cinquante mètres, heureusement divisé en deux (sauf pendant les semaines de vacances scolaires, que je redoutais pour cette raison ; et quel plaisir pourtant, quelle glissade, comprendrais-je aussi bientôt, d’aligner cinquante mètres d’une traite, quand on a la cadence).

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31 janvier 2023

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Papillon

Quatre nages

La nage papillon, telle que la pratique l’amateur, ressemble plutôt à s’y méprendre à celle du crapaud cul-de-jatte qu’empoisserait une flaque de pétrole.

Du papillon, on ne reconnaît à la rigueur que l’enfance larvaire et sa laborieuse reptation, quand il était encore chenille.

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25 janvier 2023

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Les écrivains pourraient s’introduire en bourse

13/01/23

Les écrivains pourraient s’introduire en bourse, moyennant une levée de fonds ; enfin cotés, ils se tireraient la bourre comme des Sociétés Anonymes. Autant d’actions mises en circulation que d’exemplaires imprimés des œuvres, à répartir entre pléthore d’actionnaires, du petit porteur, simple amateur de boursicotage, jusqu’au trader à haute fréquence (à condition d’écouler tous les titres émis, sans quoi gare à ce que le cours ne chute). On acquerrait non seulement ses exemplaires, mais un droit de propriété sur une parcelle du capital littéraire, à faire fructifier à long terme (peut-être pourrait-on même se rendre maître d’un orteil, d’un mollet ou d’une touffe de poils de l’auteur). 

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À la recherche d'une formeCaractères

17 janvier 2023

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Depuis un recoin de la littérature…

12/01/23

 À propos du Sanatorium au croque-mort de Bruno Schulz, traduction de Thérèse Douchy, Allan Kosko, Georges Sidre et Suzanne Arlet, dans la collection L’imaginaire de Gallimard

Difficile de résumer d’un mot le style de ces nouvelles de Bruno Schulz réunies sous le titre de la plus kafkaïenne d’entre elles, qui fait aussi penser au troublant roman du méconnu Hermann Kasack, La ville au-delà du fleuve, tant porteur de promesses d’ailleurs, celui-là, que sa fin laisse un peu le lecteur (en tout cas moi) sur sa faim, justement— à cause même peut-être de son twist, efficace mais banalisé depuis par Hollywood, presque convenu aux yeux des post-modernes épuisés que nous sommes (tel personnage qu’on croyait vivant (bien que très bizarrement vivant) depuis le début s’avère en fait mort, hantant une sorte de réalité parallèle).

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À la recherche d'une forme

13 janvier 2023

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Out of office

23/12/22

La tendance en matière de réponse automatique aux e-mails professionnels quand on part en vacances, c’est de ne surtout pas avouer dans le texte, même sous la torture, qu’on est justement « en congés », mot coupable à proscrire car laissant entendre, horresco referens, qu’on espère bien se la couler douce, aussi peu doux que soit par ailleurs dans les faits le fleuve intranquille, sans repos, et pour tout dire franchement tumultueux — il nous coule plus qu’on ne s’y coule — des vacances scolaires en famille ; non, le folklore corporate a préféré forger pour cette occasion particulière une formule absolument neutre, inattaquable, une convention minimaliste coupant court à toute interprétation, du moins théoriquement car en pratique personne n’est dupe, on préférera en tout cas écrire qu’on est « absent du bureau », « out of office » pour les plus internationaux et « OOO » pour l’élite des initiés, ce qui n’est pas, à l’ère de l’essor du télétravail, sans susciter d’ambigüités collatérales, puisque les jours où l’on télé-travaille, on n’est pas non plus présent physiquement au bureau, mais on ne se sent pas pour autant tenu de le signaler noir sur blanc dans toutes les communications dont on arrose collaborateurs et clients, du style « Bonjour, je vous écris présentement depuis le salon de mon appartement, veuillez trouver ci-joint un draft du kick-off pour l’on-boarding, belle journée », on se garde même bien de le préciser, qu’on est planqué chez soi en survêt’ plutôt qu’en première ligne au bureau, et dans ce sens finalement c’est cohérent, car de même que les gens n’ont pas à savoir qu’on est en vacances quand il leur suffit de savoir qu’on est absent du bureau, ils n’ont pas non plus à savoir qu’on est en survêt’ chez soi quand il leur suffit de savoir, par défaut, qu’on n’est pas absent du bureau, la présence au bureau figurant simplement là, par synecdoque interposée, les heures ouvrables, et non pas la présence palpable et irréfragable du corps du salarié — fût-il ailleurs en esprit, c’est un autre sujet — au sein des locaux de l’entreprise qui l’emploie.

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À la recherche d'une forme

23 décembre 2022

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