À la recherche d’une forme
À propos de L’Architecture
Si l’on voulait schématiser à l’excès — et Dieu sait s’il est délicat de le faire au sujet d’un tel livre — on pourrait tenir cette ambition exprimée à la page 103 : « écrire une autre langue dans sa langue » pour la meilleure synthèse du projet littéraire, éminemment stylisé, de Marien Defalvard. Sous l’étiquette de « roman » inscrite en couverture, puisqu’il a bien fallu que l’éditeur se raccroche à quelque catégorie identificatoire à l’attention de ses clients, on a bien plutôt affaire à une ondoyante méditation poétique, spirituelle, topographique, qu’encombreraient presque les minces repères censément narratifs noyés dans le flux introspectif du narrateur, faux double prétexte de l’auteur.
Continue ReadingDu souvenir comme apprentissage
Comment appréhender le phénomène du souvenir sans l’envisager comme résultant d’une empreinte laissée dans l’esprit, d’une trace profondément, quasi matériellement, inscrite dans l’âme ? Voyons d’abord le souvenir comme la remémoration d’une expérience. Lorsqu’elle a lieu, cette expérience apporte du neuf au répertoire de notre vécu, c’est-à-dire, si l’on tente de s’affranchir du registre de l’impression, que l’expérience nous fait ajouter de nouvelles ressources au périmètre des choses que nous pouvons exprimer, soit aux jeux de langage dont nous maîtrisons la logique.
Continue ReadingAlbum auguste
Une roulotte immobile au départ d’une halte
De pluie criblé l’abri crépite
Au voisinage du tonnerre
Torrents enrobent une coquille
C’est l’antichambre d’un pays
Le jour où je suis devenu cafetier
Fin de matinée. Alors que tout le monde est en balade, je somnole paisiblement au creux de l’alcôve du rez-de-chaussée comme un dimanche à la campagne. Trois coups subits sont frappés à la porte. Pris au dépourvu je sursaute et m’extirpe hâtivement du réduit tandis que déjà furètent deux yeux curieux sur un nez effilé à travers les carreaux. Le type m’est inconnu. Quel culot de fouiner ainsi chez moi, ai-je à peine le temps de penser qu’il ouvre carrément la porte sans attendre, et le voilà jaillissant à l’intérieur qui s’adresse crânement à moi comme un diable sur ressort sautant d’une boîte. Je crois avoir la berlue.
Continue ReadingUne maison en Lozère
Une lourde bâtisse de granite lozérien, avec des murs d’un bon mètre d’épaisseur, implantée en périphérie d’une minuscule place constituant l’entièreté du lieu-dit, hameau tout de vieilles pierres — rugueuses, grises, piquetées de blanc — immuable et rustique.
Continue ReadingPublier mon livre m’a valu l’inimitié d’un vieux copain
Lorsque j’ai décidé d’autoéditer mon roman, j’ai dû envisager tous les moyens d’en faire la promotion, bien que ce fût là l’aspect de l’entreprise qui me rebutât le plus. Mais je ne me faisais pas d’illusions : personne ne s’en chargerait à ma place, et sans ça, mes exemplaires finiraient tous au pilon (j’avais opté pour un mode d’édition traditionnel qui ferait la part belle à la qualité du livre — ce qui implique du stock — plutôt que pour l’impression à la demande façon Amazon, avec son rendu bas de gamme).
Continue ReadingLa volonté du pire
Chez les experts s’étant livrés au commentaire médiatique de la crise du Covid-19, jouissant d’une influence démesurée sur l’opinion publique, deux positions antagonistes se sont affrontées dès le départ : l’optimisme et le pessimisme. Mon étonnement part du fait que, alors que les deux camps se sont massivement trompés tout au long de leurs oracles quotidiens, l’un a rapidement été ostracisé (les optimistes, qu’on a d’ailleurs ridiculisés sous le ricanant sobriquet de « rassuristes ») tandis que l’autre a continué de bénéficier d’une confiance aveugle (les pessimistes, auto-promus au rang des dignes représentants de la Science Véridiquement Vraie). Ces derniers ont pourtant soutenu mordicus toute une série de propositions qui, avec le temps, se sont avérées fausses et, plus grave encore, ce sont leurs prévisions catastrophistes, modélisées selon des hypothèses amplifiant à outrance les effets de l’épidémie, et toujours démenties d’ailleurs a posteriori, qui ont présidé aux décrets arbitraires du gouvernement tout en décuplant la panique collective. Aujourd’hui encore ils plastronnent avec une morgue invraisemblable, sans se sentir tenus au moindre mea culpa.
Continue ReadingBrèves du moraliste
Si je me suis absenté de Twitter pendant quelques jours (quelqu’un s’en est-il aperçu ?), des sottises me sautent à la figure dès que j’en reprends le fil, et l’envie me démange d’y réagir sur le champ, d’ironiser, de moquer, de pointer du doigt : je replonge au moment même où cesse le sevrage.
Continue ReadingAucune révolution n’abolira jamais l’avarice
L’an dernier, à la fin du premier confinement (le vrai, le dur !), j’ai voulu lire L’idéologie allemande écrite par Marx et Engels entre l’été 1845 et le printemps 1846. L’envie m’en est venue par coïncidence : alors que je venais de finir L’Origine des espèces, je tombai sur une interview du sociologue Bernard Lahire où il disait relire invariablement chaque année et le livre de Darwin et celui de Marx, considérant les deux comme des échafaudages intellectuels exemplaires.
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